Sindbad PUZZLE

Retrouvez des chefs-d'oeuvre de la miniature persane et indienne en PUZZLES sur le site : http://www.sindbad-puzzle.com/

jeudi 30 septembre 2010

Abdellatif Laâbi : "Le fond de la jarre"



4e de couverture :

Qu'y a-t-il dans le fond de la jarre ? C'est le mystère des vieux pots, ou plutôt du flacon magique : on ne sait ce qu'il contient mais on l'ouvre avec un frisson délicieux. Et qu'en sort-il ? Une vraie cour des miracles, avec ses personnages extravagants, doux marginaux ou folles de Dieu au verbe acéré. Une curieuse nuit de noces, où l'on ne brandit pas le seroual taché de sang. Un oncle fugueur amateur de kif, se transformant la nuit en un auguste Homère. Un pique-nique initiatique où un enfant fait d'un radis une madeleine. Et l'âme d'une ville, ou ses tripes. Fès, en l'occurrence, mais le Fès d'un Maroc disparu, sur fond de protectorat français et de lutte pour l'indépendance.
Au centre de ce théâtre à ciel ouvert, l'enfant, pris dans une tourmente de découvertes ébouriffantes et de déconvenues cuisantes. En ombre tutélaire, Ghita, la mère, jamais à court d'imprécations et de reparties truculentes, une tendre furie, féministe avant l'heure.
Fiction ou autobiographie ? Ce récit brosse un tableau surprenant d'une ville et d'une époque.

Avis personnel :

Ce livre nous fait pénétrer au cœur de la société marocaine à travers le récit que nous fait Abdellatif Laâbi de son enfance au cœur de la médina de Fès. Nous suivons l’enfant dans le souk où son père travaille en tant que sellier. Nous parcourons la médina avec lui et rencontrons toute une galerie de personnages pittoresque et bizarres qui par leurs comportements étranges enflamment l'imagination de l'enfant. Nous partageons le quotidien de la famille à travers l’évocation de Ghita, la mère, personnage central et haut en couleur du livre aux réparties cinglantes et au féminisme avant l'heure. Nous partons pour une virée à la campagne à l’occasion d’une nzaha, ces parties de campagnes qu’affectionnent les Fezzan, au printemps, lorsque la nature se pare de ses plus beaux atours.
"Le fond de la jarre", c’est aussi la découverte émerveillé par notre jeune héros du monde des salles obscures, de l’école française ainsi que celui, plus intime, des femmes qu’il observe du haut de sa terrasse lorsque celles-ci, enfin dévoilées ou en habits d’intérieur, y montent pour se livrer aux tâches domestiques ou se détendre entre amies et voisines autour d’un verre de thé.
Ce que le lecteur pourra en particulier découvrir grâce à ce livre, c’est la variété et la finesse de la cuisine marocaine qui pour le public européen se limite souvent au couscous. C’est l’eau à la bouche que l’on lit ces savoureuses descriptions qui nous montrent Ghita s’activant dans la cuisine pour la préparation d’un plat typique aux ingrédients multiples et parfumés. Ce livre est un hymne à Fès et à tout un art de vivre qui était propre à cette ville durant toute la première moitié du XXe siècle. C’est ainsi que l’on imagine cette brillante civilisation arabo-andalouse, mêlant joie de vivre et amour de la poésie, qui fleurit au Moyen-âge en Espagne et dont Fès fut l’héritière culturelle lorsque les réfugiés musulmans fuyant la Reconquista s’y établirent à partir du XVe siècle.
Pour terminer, et là, au risque de heurter Abdellatif Laâbi, je ferai un parallèle entre son livre et celui paru en 1954 d'Ahmed Sefrioui, « La boîte à merveille ». Il y a de nombreuses ressemblances entre les deux livres. Les deux évoquent une enfance douce et heureuse dans une Fès d’avant-guerre où il faisait bon vivre. Le roman de Sefrioui fut publié la même année que « Le passé simple » de Driss Chraibi. Alors que ce dernier fut encensé par la nouvelle génération d’écrivains marocains, notamment par Laâbi dans sa revue « Souffles », « La boîte à merveilles » fut voué aux gémonies par eux qui accusèrent Séfrioui d’avoir écrit un livre de clichés exotiques (hammam, marabouts…) destiné à divertir les colonisateurs. Les attaques d’Abdellatif Laâbi s’inscrivaient dans le contexte d’un pays encore colonisé et luttant pour son indépendance et on peut comprendre qu’il ait vu dans « La boîte à merveilles » un livre apportant de l’eau aux moulins des colonisateurs. Je serai curieux de savoir si Abdellatif Laâbi porte aujourd'hui le même regard qu'auparavant sur le livre d'Ahmed Sefrioui. 
Personnellement, je trouve « Le fond de la jarre » beaucoup plus proche, voire même très proche, de « La boîte à merveilles » que du « Passé simple » de Driss Chraïbi. Et je dois également avouer que j’ai éprouvé beaucoup plus de plaisir à lire "Le fond de la jarre" et "La boîte à merveilles" que "Le Passé Simple" en dépit de tout l'estime que j'ai pour ce dernier livre. Pour moi, ces trois livres sont des regards complémentaires portés par des écrivains talentueux sur leur pays et ils nous révèlent chacun une des multiples facettes de la société marocaine.

mercredi 29 septembre 2010

Faïz Ahmed Faïz : Sans plume ni parchemin


Sans plume ni parchemin

Privé de mes trésors,
La plume et le parchemin,
J'ai trempé mes doigts
Dans le sang de mon coeur.

Les lèvres scellées
Par le silence,
J'ai mis
Dans chaque anneau
De ma chaîne
L'éloquence de ma langue

Faïz Ahmed Faïz, Poèmes, Seghers, p. 47

Baudelaire : Correspondances


La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.

Charles Baudelaire

lundi 27 septembre 2010

Swedenborg : L'humilité est le fondement de tout


"Voici ce que j'ai appris dans le spirituel : qu'il n'y a rien d'autre à faire que de s'humilier, et qu'il n'y a rien d'autre à demander - et ce, en toute humilité - que la grâce du Christ ; j'ajoutai de mon propre cru : d'avoir l'amour, mais c'est téméraire, car quand on a la grâce de Dieu, on se remet au gré du Christ et l'on fait selon Son gré ; c'est quand on est dans la grâce de Dieu que l'on est le plus heureux. Il me faut, par les prières les plus humbles, demander d'obtenir le pardon avant que ma conscience puisse être mise en paix, car j'étais tout de même en tentation avant que cela ne se passât ; le Saint Esprit me l'enseigna, mais dans mon stupide entendement, j'ai négligé l'humilité qui est le fondement de tout."

Emmanuel Swedenborg, Le livre des rêves, Berg International, p. 56

dimanche 26 septembre 2010

Coran (v. 15, 28) : "Tombez prosternés devant lui"

Site archéologique nabatéen d'al-Hijr (Ier siècle av J.C au 1er siècle apr. J.C) dans l'actuelle Jordanie. C'est le site le plus vaste au sud de Pétra et témoigne de la maîtrise architecturale et hydraulique atteinte par les Nabatéens.

Coran XV (al-Hijr), 28-35 :

"Lorsque ton Seigneur dit aux Anges :
"Je vais créer un homme (bashar-an)
d'une argile extraite d'une boue malléable.
Après que je l'aurai harmonieusement formé,
et que j'aurai insufflé en lui de mon Esprit (rûh-î);
tombez prosternés devant lui".
Tous les Anges se prosternèrent (sajada) ensemble,
à l'exception d'Iblis qui refusa de se prosterner.
Dieu dit :
"Ô Iblis !
Pourquoi n'es-tu pas au nombre
de ceux qui se prosternent ?"
Il dit :
"Je n'ai pas à me prosterner devant un homme que tu as créé
d'une argile extraite d'une boue malléalble".
Dieu dit :
"Sors d'ici !
Tu es maudit !
Sur toi ma malédiction
jusqu'au Jour du Jugement !"

Etranges versets. Ils m'intriguent particulièrement et soulèvent en moi nombre d'interrogations.
Pourquoi Dieu, après avoir créé l'homme et y avoir insufflé de Son Esprit, demande-t-Il aux Anges de se prosterner devant lui ? Se prosterner devant quelqu'un, c'est lui marquer sa soumission, c'est admettre son infériorité par rapport à lui. La prosternation est le signe d'adoration le plus élevé dans le rituel religieux. On ne peut mieux marquer sa soumission envers quelqu'un qu'en se prosternant devant lui. Enfin, la soumission implique de facto l'obéissance. Or Dieu dans le Coran affirme, à maintes reprises, que l'homme ne doit adorer et se prosterner que devant Lui. Et pourtant dans les versets cités, Il ordonne aux Anges de se prosterner devant un autre que Lui.
Certains commentateurs ont interprété ces versets en disant qu'il s'agit d'une simple salutation. C'est peu probable car le terme utilisé est bien "prosternation" (sajada) qui implique des significations et des conséquences bien plus profondes qu'une simple salutation. D'autres interprètes ont déclaré que Dieu a octroyé à l'homme un statut plus élevé que celui des Anges. Interprétation certes propre à flatter l’égo humain mais qui me laisse dubitatif. Nous savons que l'homme par ses turpitudes peut descendre particulièrement bas. Et le Coran lui-même ne cesse de fustiger l'homme. Il l'accuse à plusieurs reprises d'être pire que les bêtes et d'avoir un cœur plus dur qu'un roc. Dans les versets cités, il ne peut s’agir d’un homme quelconque ou de l’humanité dans son ensemble. Car, si Dieu a véritablement soumis les Anges à l’homme alors il suffirait à un homme de donner un ordre à un Ange pour voir celui-ci s'empresser de l'exécuter. Mais, hélas, nous constatons bien que tel n'est pas le cas. Aussi, nous sommes contraints d'admettre que l'homme cité dans les versets ci-dessus n'est pas un individu quelconque mais plutôt quelqu'un de très spécial que nous pourrions désigner en l'appelant "Homme de Dieu". C’est devant cet Homme de Dieu que le Miséricordieux a ordonné aux Anges de se prosterner et de reconnaître sa suprématie. Entre tous les hommes, il possède en lui l’Esprit de Dieu (Rûh) et c’est ce qui le distingue du commun des mortels et le place au-dessus de toute la Création. Se soumettre à lui est un devoir imposé à toute la Création par Dieu Lui-même.
Parmi tous les Anges, seul Iblis refuse de se prosterner devant l’Homme de Dieu. Il se sent supérieur à lui car il n'a pas été créé d'une substance vulgaire telle que la boue. Sa désobéissance lui attire la colère de Dieu : il est maudit, chassé et condamné à errer jusqu'au Jour du Jugement (yawm al-dîn). La sévérité de la punition infligée par Dieu à Iblis est une indication supplémentaire du statut exceptionnel de l'Homme de Dieu.
Mais qui est-il donc cet Homme de Dieu devant lequel les Anges doivent se prosterner sous peine d’être condamnés à une damnation éternelle ?
Pour les Soufis tel Ibn Arabî, il s’agit de l’Homme Parfait (Insân Kâmil), l’Ami de Dieu (Wâlî Allah), le Pôle (Qutb), le Maître spirituel (Murshid) qui initie ses disciples (mûrids) au Mystère divin.
Pour les chiites en revanche, cet Homme de Dieu est l’Imam qui possède en lui l’Esprit de Dieu. Le croyant qui ne voit pas en l’Imam, l’Esprit de Dieu, et ne se soumet pas à lui commet la même erreur qu’Iblis qui n’a pas su voir l’Esprit de Dieu sous l’enveloppe matérielle de l'Homme de Dieu. La faute d'Iblis est certes d’avoir désobéi à l'ordre divin. Mais cette désobéissance découle du fait qu’il s’est laissé trompé par l’apparence grossière (la boue) de l’Homme de Dieu et n'a pas su voir l’Esprit de Dieu qui l'habitait. S’il avait vu l’Esprit de Dieu alors il aurait accepté de se soumettre à l’Homme de Dieu en se prosternant humblement devant lui. S’étant laissé trompé par l’apparence, la vengeance d’Iblis consistera également à induire les hommes en erreur en jouant avec les apparences. Il les enjolivera à tel point aux yeux des humains que ceux-ci oublieront de voir la réalité spirituelle derrière les apparences et, pour nombre d'entre eux, nieront même son existence.
Ces deux interprétations (soufie et chiite) par leur profondeur d’analyse des versets cités me satisfont davantage que celle, sans doute flatteuse pour l’égo humain, consistant à affirmer la suprématie de l’homme sur les Anges. C’est un homme exceptionnel que Dieu vient de créer. Il possède en lui l'Esprit de Dieu. Cet Esprit lui confère excellence, noblesse et supériorité sur toute la Création. L'Esprit de Dieu le rend digne d'être adoré par le reste de la Création de Dieu, Anges ou humains.

samedi 25 septembre 2010

Faïz Ahmed Faïz : un poète lyrique révolté

Peinture en hommage à Faïz Ahmed Faïz réalisée par Khuda Bux Abro

Faïz Ahmed Faïz est considéré comme l’un des plus grands poètes de langue ourdoue. Il naquît en 1911 à Sialkot dans le Pendjab et mourut à Lahore en 1984. Enfant d’une famille aisée dont le père était avocat, Faïz commença ses études par l’école coranique dès l’âge de 4 ans. Durant ses études secondaires, il apprit l'arabe, le persan et l'ourdou. A l’université, il se spécialisa dans l'étude des  langues arabe et anglaise. Il termina son cursus en décrochant son diplôme de Master en littérature anglaise. Très tôt, Faïz s’engagea dans la politique et lutta activement pour la partition de l’Inde. Après la création de l’Etat du Pakistan, ses prises de position, sa critique virulente des dérives dictatoriales des gouvernements en place ainsi que sa liberté de ton lui valurent de fréquents séjours en prison. Faïz nous livrera quelques uns de ses poèmes les plus poignants inspirés de son expérience carcérale. Le poète lutta également activement pour la cause palestinienne et les droits du monde arabe. A sa mort, dans un élan de sympathie générale, son décès fut annoncé à la une par la presse non seulement au Pakistan et en Inde, mais également dans le Moyen-Orient.
D’un lyrisme d’inspiration classique (Ghalib) à ses débuts, Faïz, suivant les traces de Muhammad Iqbal, évolua par la suite vers une poésie de plus en plus engagée. Il se fit le chantre de la liberté d’expression, le porte parole des opprimés et le fervent défenseur des droits fondamentaux de l’homme. Néanmoins, sa poésie garda toujours la beauté lyrique des œuvres classiques de la poésie ourdoue comme le relève avec justesse son traducteur en français, l’éminent savant Laïq Babree : « C’est la caractéristique de la poésie de Faïz que la conscience politique se marie chez lui avec la conscience poétique d’une façon si harmonieuse que la protestation la plus véhémente contre les injustices revêt la dignité d’un chant ».

La fenêtre

Que de croix plantées
Partout dans ma fenêtre !
Chacune baignée
Dans le sang du Messie,
Chacune aspirant à l'union
Avec son Seigneur.

Sur l'une est crucifié
Le nuage du printemps ;
Sur l'autre
La lune brillante ;

Sur l'une est crucifié
Le bosquet vibrant ;
Sur l'autre
La brise matinale.

Et chaque jour ces dieux
De la beauté
Glissent ensanglantés
Dans ma cellule douloureuse.
Et chaque jour,
Devant mes yeux,
Se dressent
Les corps intacts de ces martyrs.

Prison de Montgomery, déc. 1954

Faïz Ahmed Faïz, Poèmes, choix, traduction de l'ourdou et introduction par Laïq Babree, Seghers, p. 83

Faïz Ahmed Faïz : "Poèmes"

Faïz Ahmed Faïz, Poèmes, Seghers. Un magnifique recueil pour découvrir ce grand poète pakistanais dans la belle traduction de Laïq Babree. Malheureusement, le livre est très difficile à trouver et mériterait une réédition.

4e de couverture :

"Né en 1911 dans une petite ville du Pendjab, Faïz Ahmed Faïz est considéré comme le plus grand poète pakistanais contemporain. Comme Ghalib et Iqbal, ses illustres prédecesseurs, Faïz s'exprime en ourdou. Certes, c'est avant tout un lyrique, mais c'est aussi un poète engagé, révolutionnaire, qui a toujours lutté pour la liberté : en témoignent sa vie mouvementée et ses nombeuses incarcérations.
"C'est la caractéristique de la poésie de Faïz" écrit son traducteur Laïq Babree, "que la conscience politique se marie chez lui avec la conscience poétique d'une façon si harmonieuse que la protestation la plus véhémente contre les injustices revêt la dignité d'un chant".
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Ton souvenir descend...

Ton souvenir descend
Cette nuit
Dans mon coeur,
Comme descend
Le printemps
Sur les vastes ruines,
Comme doucement marche
La brise
Sur les sables immobiles,
Comme le calme immense
Qui revient sans raison
Chez l'agonisant.

Pablo Neruda et Faïz Ahmed Faïz

vendredi 24 septembre 2010

Emmanuel Swedenborg : "Le livre des rêves"

 
 4e de couverture :

"Savant de réputation internationales, esprit cartésien et encyclopédique comme en produisit le XVIIIe siècle, Emmanuel Swedenborg (1688-1772) allait devenir, à la surprise de ses contemporains, un des grands mystiques de l'Occident.
Après une nuit de visions et de révélations, il appliqua à la pénétration des choses de l'esprit les principes et les méthodes qui l'avaient guidé jusque-là dans l'investigation du monde matériel. Il rédigea alors quelques uns des grands ouvrages de spiritualité qui marquèrent l'Europe moderne. Ses écrits eurent un tel retentissement qu'ils devaient inquiéter les philosophes de son temps, dont Kant qui publiera les Rêves d'un visionnaire, et inspirer Séraphita à Balzac. Il annonçait, entre autres, l'avènement d'une Eglise nouvelle fondée sur ses propres révélations, ce qui lui valut d'être déclaré hérétique.
Il se trouve qu'au moment crucial où se passa sa "conversion", Emmanuel Swedenborg nota dans un carnet les rêves qu'il fit, suivis des étranges interprétations qu'il en donna. Ces textes forment la matière du Livre des rêves. Au-delà des explications que pourrait en donner la psychanalyse, cet ouvrage propose une vision poétique et mystique de la Rencontre avec l'Ange. Car, si "le rêve est une seconde vie" ainsi que le disait Nerval, Swedenborg y possédait la clef du Temple Céleste."

vendredi 17 septembre 2010

Le British Raj et l'âme de l'Inde

Une équipe de polo anglo-indienne


"En décembre 1947, quelques mois après l'indépendance de l'Inde, Malcolm [Darling] rencontre à Londres un de ses collègues britanniques qui a comme lui travaillé pendant longtemps dans l'administration impériale. Ils échangent leurs impressions et se livrent à un examen de conscience, à un bilan de la colonisation britannique. Pour Malcolm, l'Inde a quelque chose de précieux que les Britanniques eux-mêmes, trop tournés vers les choses matérielles, n'ont pas. Ils ont manqué de sensibilité, ils n'ont pas pris en compte l'âme de l'Inde, ils l'ont brimée alors qu'elle était la source de sa force - et c'est bien là la grave erreur. L'autre erreur est leur propre arrogance, leur sentiment de supériorité, de mépris, leur conviction aveugle que l'Occident détenait toutes les solutions politiques, économiques et morales."

Arundhati Virmani, India 1900 - 1947. Un britannique au coeur du Raj, Editions Autrement, p. 172

jeudi 16 septembre 2010

Faiz Ahmed Faiz : Que la pluie tombe sur le toit...

L'actrice indienne Shabana Azmi


Que la pluie tombe sur le toit,
et voilà que je rêve de toi.

Sur la montagne, la neige sans trêve,
et voilà que de toi je rêve.

De l'aube l'azur surgit,
et voilà que je rêve de toi.

Que la colombe roucoule,
et je te vois en rêve.

Qu'elle vienne, s'envole et s'élève,
et voilà que de toi je rêve.

Scintillent les perles de rosée,
et voilà ton rêve encore osé.

Il y a dans cet amour quelque tromperie,
tu n'est pas femme mais quelque rêverie.

Sinon pourquoi, à chaque instant,
de toi je rêve tant ?

Poème de Faiz Ahmed Faiz traduit par Alain Désoulières

Alain Desoulières, Reflets du Ghazal. Anthologie de la poésie ourdoue, Buchet-Chastel

mercredi 15 septembre 2010

Le fakir et Jésus



"Lors d'une tournée, Malcolm Darling croise un fakir ("ascète"), qui l'accueille en lui serrant la main. Dans sa poignée de main, Malcolm sent l'amaigrissement du corps et la ferveur de l'âme du personnage. le fakir revient le lendemain matin dans la petite résidence où loge Malcolm :
- Que Dieu te donne la lumière, dit le fakir.
- Et comment aurai-je la lumière ?
Il fixe alors ses yeux gris désenchantés sur Malcolm. Il a sûrement noté l'abondance du petit déjeuner sur la table, car il répond :
- Mange moins que de besoin pendant quarante jours. Assieds-toi en silence dans un endroit et répète ton credo : Jésus est l'esprit de Dieu. Alors, la lumière peut venir en toi.
Après une pause, il ajoute :
- Tu es âgé. La lumière viendra lentement.
Il serre la main de Malcolm et le quitte en disant à nouveau :
- Que Dieu te donne la lumière.
Quoique sceptique, Malcolm reconnaît que ce n'est pas un fou, mais un homme réellement en quête de la vérité : "La lumière dans ses yeux suggéra qu'il n'avait pas cherché en vain."

Arundhati Virmani, India. 1900 - 1947. Un britannique au coeur du Raj, Editions Autrement, pp. 100-1

mardi 14 septembre 2010

Arundhati Virmani : "India 1900 - 1947. Un Britannique au coeur du Raj"



4e de couverture :

En 1904, le jeune Malcolm Darling quitte Eton, Cambridge, Londres pour le prestigieux Indian Civil Service, la haute administration coloniale en Inde. C'est investi d'une mission civilisatrice qu'il débarque au coeur du Raj - l'empire indien. Au contact d'un Orient qu'il apprend à déchiffrer, à pénétrer, Darling découvre l'immensité du sous-continent, le frémissement et les révoltes sourdes d'un peuple en éveil, méprisé par les Britanniques et déchiré par le conflit entre hindous et musulmans. Paysans de Lahore, au coeur du Pendjab, maharadjahs de Delhi, aristocrates britanniques, ou figures insoumises comme Gandhi ou Nehru, Darling côtoie les acteurs d'un empire qui porte en lui les prémisses d'un éclatement. Pendant près de quarante ans, il s'interroge, dans ses lettres, son journal intime, sur le bien-fondé du modèle colonial, explore d'autres voies et nous plonge au coeur d'une histoire qui débouche en 1947 sur la déclaration d'indépendance de l'Inde et la création de l'État islamique du Pakistan.

A propos de l'auteur :

Arundhati Virmani, Indienne, historienne, nous livre ici à travers la correspondance de Malcolm L. Darling, un récit vivant, passionnant de l'histoire de l'Inde, dont les choix politiques ont eu des répercussions - aujourd'hui plus que jamais visibles - sur l'Asie centrale, le Moyen-Orient et le monde entier.

 Avis personnel :

Frais émoulu de Cambridge, Malcolm Darling choisit d'intégrer la haute administration coloniale en tant qu'administrateur. Tour à tour magistrat, puis responsable d'un district dans le Pendjab, précepteur d'un Maharadjah, Malcolm découvre au fur et à mesure de sa carrière la complexité de la société indienne et la richesse de sa civilisation. Il fait également l'expérience du fossé qui sépare les cultures anglaise et indienne et déplore que ses concitoyens ne fassent pas les efforts requis pour essayer de mieux comprendre ce pays dont ils ont pris entre leurs mains les destinées. En lisant ce livre, on ne peut qu'être admiratif devant Malcolm et touché par les efforts incessants qu'il déploie afin d'aller vers l'autre, de chercher à mieux le connaître et s'efforcer dans la mesure de ses moyens d'améliorer son sort. C'est ainsi que nous voyons Malcolm rechercher la compagnie des indiens plutôt que de ses compatriotes, d'aller sur le terrain plutôt de vivre reclus dans la vie confortable et les mondanités de la communauté anglaise de Simla. Son poste de responsable d’un district rural du Pendjab sera le point de départ pour Malcolm d’une véritable passion pour l’agriculture et le monde paysan. Malcolm deviendra le spécialiste de la paysannerie indienne. Il rédigera plusieurs ouvrages sur le sujet et sera sollicité régulièrement par les gouvernements pour des conseils en politique agricole. Toute sa vie, Malcolm essaiera de sensibiliser les politiciens sur les difficultés du monde rural et le sort des paysans. Bien avant l’heure de la Grameen Bank et du système des micro-crédits, Malcolm affirmera que le développement du monde rural ne peut se faire avec des programmes de portées nationales. Ce sont les paysans eux-mêmes qui, à l’échelle locale, doivent identifier leurs problèmes, élaborer des solutions adaptées à leurs besoins et les mettre en œuvre en s’organisant entre eux. En tant que précepteur du jeune Maharadjah de Dewas, Malcolm s’éveillera à la spiritualité hindoue tout en déplorant l’emprise excessive de la masse des traditions qui freinent l’évolution de la société. Malcolm admirera également le raffinement des mœurs et le savoir-vivre des aristocrates indiens à côté desquels nombre de ses compatriotes apparaissent comme de véritables rustres mal dégrossis.
Au fil des années, Malcolm constatera la montée irrépressible du mouvement nationaliste indien dont le succès sera alimenté en grande partie par la série de gaffes monumentales que commet le gouvernement anglais dans sa politique coloniale. Le fossé entre musulmans et hindous ne cessera de se creuser, notamment avec la lutte de la Ligue musulmane pour obtenir la Partition de l’Inde et les massacres qui ensanglanteront le pays durant les années précédant la création du Pakistan.
En 1947, c’est une Inde bien différente de celle du début du siècle que Malcolm a sous les yeux. D’obséquieux et serviles envers les Anglais un demi-siècle plus tôt, Malcolm trouve à présent les Indiens arrogants et méprisants, et cela même envers leurs propres subordonnés indiens qu’ils traitent parfois d’une manière pire que celle que Malcolm ne s’était jamais permis d’agir envers eux.
Jusqu’à la fin de sa vie en 1969, Malcolm passera son temps à écrire sur le monde paysan, à classer sa correspondance et à rédiger son autobiographie.
Malcolm Darling a porté sur l’Inde un regard plein de curiosité, de sympathie et de sensibilité. C’est un regard pareil qu’Arundhati Virmani, dans un style simple et clair, a porté à son tour sur Malcolm dans son livre. Aussi, sa lecture se révèle passionnante. J’aurais juste aimé que l’auteur nous en dise un peu plus sur le destin du Maharadjah de Dewas après que Malcolm l’eut quitté car on s’attache à ce jeune souverain fin et mâture. J’espère qu’Arundhati Virmani aura l’occasion de nous proposer d’autres ouvrages du même acabit. En tout cas, j’attends impatiemment sa prochaine publication.

lundi 13 septembre 2010

Un Muharram oecuménique à Hyderabad

Procession lors de la célébration du Muharram à Hyderabad. Photo prise en 1880


Le Muharram est l'une des fêtes religieuses chiites parmi les plus importantes. Elle commémore le massacre de Hussain, le petit-fils du Prophète, et de ses compagnons à Karbala en 680 devant les troupes du calife omeyyade Yazid.
On a toujours tendance à voir les relations entre musulmans et hindous en Inde comme conflictuelles voire haineuses. L'extrait ci-dessous montre que des périodes de tolérance ont existé entre les deux communautés. Il n'était pas rare de voir, lors des festivités religieuses, hindous et musulmans saisis d'une même joie oecuménique et prendre part ensemble aux commémorations d'une fête religieuse appartenant à la communauté de l'autre. L'empereur moghol Akbar avait décrété que même les hindous faisaient partie des Gens du Livre (Ahl al-Kitab), comme les chrétiens et les juifs, puisqu'ils possédaient les Védas et la Bhagavad Gita, et que par conséquent ils méritaient le respect et la protection des musulmans. Ce n'est véritablement qu'à partir du début du XXe siècle que hindous et musulmans ont commencé à s'éloigner les uns des autres ; éloignement favorisé par les Anglais qui surent habilement mettre en pratique le fameux principe consistant à diviser pour régner. Les événements douloureux liés à la partition de l'Inde qui provoquèrent de terribles massacres n'ont fait que davantage creuser le fossé entre les deux communautés.
On a toujours tendance à mettre en avant les guerres de religions. Il convient également d'évoquer et de se souvenir de ces périodes où la paix, le respect de l'autre et la tolérance ont régné entre les différentes communautés. C'est ce que nous montre l'extrait ci-dessous tiré du journal d'un témoin oculaire de la célébration du Muharram à Hyderabad au début du XIXe siècle :

"Musulmans et hindous prennent part ensemble à ces célébrations, et le dixième jour, celui du martyre, tous les étendards, tous les taziahs [spectacles] et toutes les statues de chevaux ailés en bois [représentations de Buraq, le cheval ailé sur lequel le Prophète fut emporté au Ciel lors de son Ascension nocturne] descendent la rue Hussaini Alam jusqu’à la rivière Musi, accompagné par des éléphants, des fanfares, des troupes de cipayes en uniforme arabe et européen […]. Hindous et musulmans suivent par milliers, tête et pieds nus, se martelant le torse en criant : « Husain ! Husain ! » Les hindous en particulier participent avec le plus grand sérieux, nouant de leurs mains des guirlandes de fleurs aux étendards […]. Riches ou pauvres, toutes les personnes valides franchissent la vénérable porte du Pont. Les mendiants en deux processions derrière leurs chefs rivaux, les derviches, les aliénés déguisés en pirates, en lions, etc., tous se dirigent vers la rivière en louant Ali et y passent la nuit. Ils sont au moins cinquante mille, sans compter les éléphants, certains porteurs de parfums pour en asperger la foule, et le innombrables chevaux, et toutes les tentes que ceux qui le peuvent dressent sur la berge. Il n’est aucun spectacle plus merveilleux à Hyderabad !"

Extrait tiré de Le Moghol Blanc, William Dalrymple, éditions Noir sur Blanc, pp. 326-7

Bulbul Sharma : "La colère des aubergines"

La colère des aubergines, Bulbul Sharma, Editions Picquier.


4e de couverture :

Qui meurt dîne, La Colère des aubergines, Folie de champignons, Festin pour un homme mort... : quelques titres de ces récits donnent un avant-goût de leur saveur. Les histoires racontées, pleines d'odeurs de cuisine, puissamment évocatrices des rapports et des conflits entre les membres d'une maisonnée indienne, soulignent bien sûr le rôle déterminant qu'y jouent la nourriture et celles qui la préparent. Des femmes croquées sur le vif y livrent des instants de bonheur, des secrets de famille, d'amour, d'enfance qui ont parfois la violence du désir ou l'amertume de la jalousie. Mais les véritables héroïnes sont ces recettes qu'il s'agisse de confectionner un pickle de mangue, un gâteau de carottes ou un curry d'aubergines au yaourt, le lecteur goûtera, du palais et de la langue, l'alchimie des aromates indiens.

Avis personnel :

La colère des aubergines est un recueil de nouvelles qui nous plonge au cœur d'une Inde des classes moyennes. Chacune de ces nouvelles gravite autour d'un thème culinaire et se termine par une recette de cuisine en lien avec l'histoire contée. Les nouvelles sont émouvantes, tendres et drôles. L'auteur croque avec beaucoup d'acuité la psychologie et la personnalité des indiens de cette classe moyenne et n'épargne aucun de ses travers. Ainsi, Bulbul Sharma nous montre bien cette démarche très pragmatique et calculatrice des parents lorsqu'il s'agit de trouver le meilleur parti pour leurs enfants. On évalue avec soin le niveau social, le cursus universitaire, la situation financière du parti convoité. On détaille ses attraits physiques et on ne manque pas de lancer des traits féroces envers le plus petit de ses défauts physiques.
On relèvera dans le livre qu'en dépit de l'interdiction religieuse formelle pour les hindous de manger de la viande, ceux-ci ne se privent pas pour autant pour confectionner les mets les plus exquis à base de viande. Ce livre bouscule nombre de nos clichés sur une Inde que l'on perçoit parfois essentiellement sous l'angle de la misère, du système des castes, d'hindous strictement végétariens.... Bulbul Sharma nous montre une société indienne complexe, plurielle, partagée entre la modernité et le poids des traditions, où les différentes cultures se croisent et dont la cuisine par sa variété et ses mélanges de goûts nous offre une illustration particulièrement pertinente de la richesse de cette société indienne.
On lit La colère des aubergines en imaginant les odeurs et les saveurs. Le livre nous donne envie de se lancer dans la préparation des recettes indiquées ou tout du moins de se précipiter dans un restaurant indien pour déguster les plats évoqués par l'auteur. La colère des aubergines est à savourer sans modération.

jeudi 9 septembre 2010

Alain Désoulières : "Reflets du ghazal. Anthologie de la poésie ourdoue"



4e de couverture

Le nord du sous-continent indien est riche de langues, et l'ourdou est parmi les, plus importantes. Il est parlé aussi bien en Inde qu'au Pakistan. Dans ce dernier pays, il a le statut de langue nationale ; il est particulièrement utilisé (en même temps que l'arabe) dans les medersa, ces écoles coraniques d'où sont sortis notamment les taliban afghans. Il nous a paru nécessaire de montrer un tout autre aspect de l'ourdou : son riche côté poétique, et spécialement sa poésie lyrique, celle du ghazal. Nous sommes, en Occident, dans l'ignorance généralisée des richesses poétiques de cette région ; si la poésie classique persane est relativement familière à certains, il est probable que la langue ourdoue est, pour la grande majorité, terra incognita.

Avis personnel :

Il n'existe quasiment pas de livres en français sur la poésie ourdoue. Ce livre nous ouvre donc une fenêtre précieuse sur elle ainsi que sur le genre littéraire du ghazal, genre dans lequel cette poésie donna toute la mesure de sa puissance lyrique.
Le livre nous présente des poèmes des principaux poètes de langue ourdoue. Chaque poète est introduit par une courte notice biographique suivie par un ou plusieurs poèmes qu'Alain Dessoulières nous commente brièvement nous offrant ainsi une meilleure compréhension du contenu. Dans l''introduction, Alain Dessoulières nous explique le contexte historique qui a conduit à l'emergence et à l'épanouissement de la langue ourdoue et nous éclaire sur les caractéristiques principales du ghazal.
On ne peut que saluer le travail important accompli par Alain Dessoulières qui nous offre pour la première fois en français une vue d'ensemble, même réduite, de la poésie ourdoue et nous introduit au genre littéraire du ghazal. Espérons que ce petit recueil sera suivi par d'autres plus importants et qu'un jour nous aurons un ouvrage digne de ce nom sur la vie et l'oeuvre du plus illustre des représentants du ghazal, à savoir Mirza Assadullah Khan dit Ghalib.

Ghalib, l'oudou et le ghazal

Mausolée de Ghalib à Delhi. Ghalib fut un poète bon vivant et libre-penseur. Il était à Delhi lors de la révolte des Cipayes en 1857 et tint un journal qui nous décrit les horreurs de la répression sanglante menée par les Anglais pour reprendre la capitale moghole. Lors de cette répression, Ghalib fut emmené devant un officier anglais qui lui demanda s'il était musulman. Ghalib répondit
- "A moitié seulement".
- "Qu'entends-tu par là ?" demanda l'officier amusé et intrigué.
- "Je bois du vin mais je ne mange pas de porc", lui répondit le poète.
Ghalib eut la vie sauve sur présentation d'une lettre envoyée par la Reine d'Angleterre en remerciement à un poème qu'il lui avait adressé.


Ghalib (1797-1869) est considéré comme l'un des plus grands poètes de langue ourdoue. L'ourdou est né à partir du XVIIe siècle de la rencontre des langues de l'Inde du nord, notamment le hindi, avec le persan et l'arabe. Celui qui comprend le hindi, comprend également l'ourdou et vice versa. Alors que le hindi comporte un nombre important de mots d'origine sanskrite, l'ourdou se caractérise par la quantité de mots d'origine persane et arabe dans son vocabulaire. Aussi, l'ourdou est associé à la culture musulmane en Inde. Rappelons que l'ourdou est la langue nationale du Pakistan. De plus, il s'écrit avec l'alphabet arabe et dans un style calligraphique appelé le nastaliq qui est apparu en Iran au XVe siècle.
Le ghazal est le genre poétique le plus connu de l'ourdou. Le mot ghazal vient de la racine arabe gh-za-la qui signifie "courtiser une femme". En schématisant, on peut ramener le ghazal a trois caractéristiques principales :
- c'est un poème lyrique court (entre cinq et vingt-cinq vers maximum)
- c'est un poème rimé et rythmé dont la longueur des vers est définie en pieds (un pied peut être composé d'une voyelle brêve et trois longues)
- chaque vers peut être déclamé d'une manière indépendante, même sorti de son contexte, car il possède un sens entier à lui tout seul.

Poème de Ghalib :

"L'espoir, nous n'en avons plus, de visages, nous n'en voyons plus,
le jour de notre mort est décidé, pourquoi, la nuit durant, le sommeil ne vient plus ?

Avant, notre coeur se prenait à rire, et voilà qu'il ne sourit jamais plus,
je connais le fruit de la dévotion et de l'ascèse, mais mon humeur ne m'y porte plus.

Il y a bien quelque chose que je tais, sinon pourquoi est-ce que je n'en parle plus ?
Pourquoi ne crierai-je pas qu'on se souvienne, mais si ma voix ne porte plus ?

La cicatrice de mon coeur ne se voit pas, mai le parfum du bonheur ne vient plus,
nous sommes là où les nouvelles de nous-mêmes ne nous parviennent même plus.

Nous mourons du désir de mourir, la mort vient et voilà qu'elle ne vient plus.

Quel visage montreras-tu à la Kaaba, Ghalib,
avec cette honte que tu ne ressens plus ?"

Poème de Ghalib tiré de Reflets du Ghazal, poèmes traduits par Alain Désoulières, Buchet Chastel, p. 25


Ghazal de Ghalib. Comme on le voit l'ourdou s'écrit avec l'alphabet arabe augmenté de quelques lettres propres à l'ourdou et s'écrit avec le style calligraphique du nastaliq

mercredi 8 septembre 2010

William Dalrymple : "Le moghol blanc"

William Dalrymple, Le Moghol Blanc, aux éditions Noir sur Blanc

4e de couverture :

James Achilles Kirkpatrick débarque sur la côte orientale de l'Inde en 1779, habité par une dévorante ambition d'officier dans l'armée de Madras de la Compagnie anglaise des Indes orientales ; il est fort désireux de se faire un grand nom dans la conquête et l'assujettissement du sous-continent indien. Mais, ironie de l'Histoire, le destin en décide autrement, et c'est lui qui est conquis, non par une armée, mais par une princesse indienne et musulmane. En effet, Kirkpatrick vient d'être nommé, à l'âge de 34 ans, pendant l'insupportable été caniculaire de 1797, Lord Résident britannique de la Compagnie anglaise des Indes orientales à la cour du nizam d'Hyderabad, où il aperçoit Khair un-Nissa, "La Plus Admirable d'Entre Toutes", une sublime beauté âgée de seulement 14 ans, petite-nièce du premier ministre du nizam et descendante du Prophète. Tombé fou amoureux de Khair, au point d'en oublier toute ambition, il relève de nombreux défis afin de l'épouser. Khair, déjà fiancée à un noble d'Hyderabad, vit enfermée derrière le purdah, ce lourd rideau qui soustrait les femmes résidant dans le zenana, le harem, au regard des hommes. Kirkpatrick se convertit à l'islam et épouse enfin la bégum Khair un-Nissa en 1800. Selon certaines sources indiennes, il devint même agent double au service d'Hyderabad contre les intérêts de la couronne. Il n'existe personne d'autre que William Dalrymple pour transformer l'histoire vraie d'un grand amour entre un diplomate anglais et une princesse indienne en une envoûtante et brûlante saga mêlant passion, séduction et trahison sur fond d'intrigues de harem et d'espionnage. Le Moghol Blanc déroule, en une grandiose fresque épicée, l'histoire colorée et souvent turbulente de l'Inde au XVIIIe siècle.

Avis personnel :

Avec Le Moghol Blanc, nous sommes transportés dans l’Inde moghole de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle. Les britanniques commencent à étendre doucement mais sûrement leur domination sur le pays. L’hégémonie moghole réalisée par Aurengzeb quelques décennies plus tôt est entamée par l’émergence de sultanats locaux qui se constituent des fiefs aussi immenses que la France. Ces sultanats sont à l’apogée de leurs puissances militaire et financière. Leurs cours brillent par l’élégance et l’extrême raffinement de leur vie culturelle, artistique et intellectuelle. La langue ourdoue, en plein essor, devient le moyen d’expression privilégiée des poètes qui composent des ghazals et se livrent à des joutes poétiques lors des soirées de mushaïras organisées dans les havélis (villas luxueuses) et les palais. On s’arrache à prix d’or les poètes et les courtisanes rivalisent entre elles de trésors d’ingéniosité pour distraire et émerveiller par leurs talents artistiques ou leurs charmes l'assistance des notables.
Parmi les européens qui s’aventurent et s’établissent dans ces sultanats, nombreux sont ceux qui, tombés sous le charme de cette vie de cour fastueuse et raffinée, adoptent le mode de vie des moghols. On les appelle les moghols blancs. Ils s’habillent selon la mode vestimentaire moghole, épousent des bibis indiennes, se constituent des harems et parfois se convertissent même à l’islam.
Le livre nous dépeint une époque où l’Islam fascinait les occidentaux, il était copié et envié, admiré et respecté. Avec l’emprise croissante de la puissance britannique sur l’Inde et le rapport des forces s’inversant au fil du temps, les Anglais adoptèreront une attitude de plus en plus distante, méprisante et arrogante envers leurs sujets indiens. Cette attitude conduira à la révolte des Cipayes en 1857, la plus grande mutinerie que l’Angleterre ait jamais eue à faire face. Cette guerre sera la première d'une longue série dans la lutte pour l'indépendance. Pour avoir un récit détaillé de cette révolte des Cipayes, il faut lire cet autre admirable livre de William Dalrymple, Le dernier moghol, qui retrace les événements de la mutinerie à Delhi et la terrible répression qui s’en suivit et qui mit fin à la prestigieuse dynastie moghole avec la destitution du dernier de ses souverains, l'affable Bahadur Shah Zafar.
Tout au long des quelques 550 pages du Moghol Blanc, William Dalrymple parvient à nous tenir en haleine en distillant avec brio les multiples rebondissements de cette belle histoire d'amour entre le major de l'armée britannique James Kirkpatrick et la belle Khair-un-Nissa, fille d'un notable musulman. Le livre est un monument d’érudition, pourtant à aucun moment il ne tombe dans l’académisme grâce au talent de vulgarisateur de l’auteur. Le Moghol Blanc comblera tous les dilettantes car l’auteur fait de nombreuses digressions par rapport à l'histoire pour évoquer longuement le passé de tel ou tel personnage secondaire, ou l’évolution urbaine d’une ville ou encore les us et coutumes des moghols. Pour reconstituer l’histoire des deux amants, William Dalrymple s’est essentiellement appuyé sur une abondante relation épistolaire laissée par les différents acteurs de l'histoire. .
Le Moghol Blanc enchantera tous les amoureux de l'Inde et de la période moghole. Ils découvriront une époque où l'Islam était synonyme de culture, de raffinement, d'art de vivre, de poésie, d'élégance et de beauté.

mercredi 1 septembre 2010