Sindbad PUZZLE

Retrouvez des chefs-d'oeuvre de la miniature persane et indienne en PUZZLES sur le site : http://www.sindbad-puzzle.com/

jeudi 31 mars 2011

Carl Sandburg : Arithmetic / Mathématiques

Homework, Winslow Homer
Arithmetic

Arithmetic is where numbers fly like pigeons in and out of your head.
Arithmetic tells you how many you lose or win if you know how many you had before you lost or won.
Arithmetic is seven eleven all good children go to heaven-or five six bundle of sticks.
Arithmetic is numbers you squeeze from your head to your hand to your pencil to your paper till you get the answer.
Arithmetic is where the answer is right and everything is nice and you can look out of the window and see the blue sky-or the answer is wrong and you have to start all over and try again and see how it comes out this time.
If you take a number and double it and double it again and then double it a few more times, the number gets bigger and bigger and goes higher and higher and only arithmetic can tell you what the number is when you
decide to quit doubling.
Arithmetic is where you have to multiply-and you carry the multiplication table in your head and hope you won't lose it.
If you have two animal crackers, one good and one bad, and you eat one and a striped zebra with streaks all over him eats the other, how many animal crackers will you have if somebody offers you five six seven and you say No no no and you say Nay nay nay and you say Nix nix nix?
If you ask your mother for one fried egg for breakfast and she gives you two fried eggs and you eat both of them, who is better in arithmetic, you or your mother?

Essai de traduction :

Mathématiques

Les mathématiques, c’est quand les chiffres vont et viennent dans ta tête en volant comme des pigeons.
Les mathématiques te disent combien tu perds ou gagnes quand tu sais combien tu avais avant de perdre ou de gagner.
Les mathématiques c’est un deux trois je m’en vais au bois – ou un kilomètre à pied ça use ça use
Les mathématiques ce sont ces chiffres dans ta tête que tu presses comme un citron jusqu'à en faire couler sur ta main et ton stylo et ta feuille la bonne réponse.
Les mathématiques, c’est quand la réponse est juste et tout est beau et tu peux regarder par la fenêtre et voir le ciel bleu – ou la réponse est fausse et tu dois tout recommencer du début et réessayer et voir combien cela donne cette fois.
Si tu prends un chiffre et que tu le doubles et le doubles encore et le doubles encore plusieurs fois, le chiffre devient de plus en plus gros et élevé et seuls les mathématiques peuvent te dire quel est ce chiffre quand tu as décidé d'arrêter de doubler.
Les mathématiques c’est quand tu dois multiplier – tu dois garder la table de multiplication dans ta tête en espérant que tu ne vas pas l’oublier.
Si tu as deux crackers en forme d’animaux, un bon et un pas bon, et que tu en manges un et qu'un zèbre avec des tas de rayures partout sur son corps mange l’autre, combien de crackers en forme d’animaux tu auras si quelqu’un t’en offre cinq six sept et que tu dis Non non non et que tu dis Nan nan nan et que tu dis Na na na ?
Si tu demandes à ta maman de te faire un œuf pour le petit déjeuner et qu’elle te donne deux œufs frits et tu les manges tous les deux, qui est meilleur en mathématiques, toi ou ta maman ?

Carl Sandburg

mardi 29 mars 2011

Carl Sandburg : Lost / Perdu

Nocturne : Blue and Silver-Bognor, James Whistler

LOST

DESOLATE and lone
All night long on the lake
Where fog trails and mist creeps,
The whistle of a boat
Calls and cries unendingly,
Like some lost child
In tears and trouble
Hunting the harbor's breast
And the harbor's eyes.

Essai de traduction :

PERDU

Abandonné et seul
Toute la nuit durant sur le lac
Là où le brouillard se traîne et la brume rampe,
Le sifflet d'un navire
Appelle et pleure interminablement,
Comme un enfant perdu
En larmes et angoissé
Cherchant le sein du port
Et les yeux du port.

Carl Sandburg

Carl Sandburg : The Fog / Le brouillard

Fifth Avenue from the St. Regis, Alvin Langdon Coburn

THE FOG

THE fog comes
on little cat feet.

It sits looking
over harbor and city
on silent haunches
and then moves on.


Essai de traduction :

LE BROUILLARD

Le brouillard vient
A petits pas de chats

Silencieusement
Il se poste assis
Au-dessus du port et de la ville
Et regarde
Puis doucement il s'éloigne.

Carl Sandburg

Carl Sandburg : Plowboy / Laboureur

Spring in the Country, Grant Wood

PLOWBOY

AFTER the last red sunset glimmer,
Black on the line of a low hill rise,
Formed into moving shadows, I saw
A plowboy and two horses lined against the gray,
Plowing in the dusk the last furrow.
The turf had a gleam of brown,
And smell of soil was in the air,
And, cool and moist, a haze of April.

I shall remember you long,
Plowboy and horses against the sky in shadow.
I shall remember you and the picture
You made for me,
Turning the turf in the dusk
And haze of an April gloaming.


Essai de traduction :

LABOUREUR

Après la dernière lueur rougeâtre du couchant
Noirs sur la ligne d’une petite éminence
Formés d’ombres mouvantes, j’ai vu
Un laboureur et deux chevaux alignés contre le gris,
Labourant dans le crépuscule le dernier sillon.
La terre avait un éclat brunâtre
L’odeur de la terre était dans l’air,
Et fraîche et humide la brume d'Avril.

Je me souviendrai longtemps de vous,
Laboureur et chevaux, découpés contre le ciel en ombres.
Oui, je me souviendrai de vous et de l’image
Que vous avez formée pour moi,
Retournant la terre dans le crépuscule
Par un soir brumeux d'Avril.

Carl Sandburg

lundi 21 mars 2011

Barjavel : "Jamais je ne m'habituerai au printemps"

Branche de marronnier en fleurs, Vincent Van Gogh

"Jamais je ne m'habituerai au printemps. Année après année, il me surprend et m'éverveille. L'âge n'y peut rien, ni l'accumulation des doutes et des amertumes. Dès que le marronnier allume ses cierges et met ses oiseaux à chanter, mon coeur gonfle à l'image des bourgeons. Et me voilà de nouveau sûr que tout est juste et bien, que seule notre maladresse a provoqué l'hiver et que cette fois-ci nous ne laisserons pas fuir l'avril et le mai.
Le ciel est lavé, les nuages sont neufs, l'air ne contient plus de gaz de voitures, on ne tue plus nulle part l'agneau ni l'hirondelle, tout à l'heure le tilleul va fleurir et recevoir les abeilles, les roses vont éclater et cette nuit le rossignol chantera que le monde est une seule joie. Tout recommence avec des chances neuves et, cette fois, tout va réussir."

René Barjavel, La Faim du tigre, Folio.

Sohrâb Sepehrî : Oasis dans l'instant

Sohrâb Sepehrî

Oasis dans l'instant

Si vous venez me chercher quelque part,
Je serai en un lieu nulle part [1].
Derrière ce nulle part, il y a quand même quelque part.
Derrière ce nulle les veines de l'air
Sont pleines de chardons qui nous apportent les messages [2]
De ces fleurs épanouies sur les confins des terres lointaines.
Et le sable porte aussi l'empreinte des chevaux
De ces fringants cavaliers qui ont franchi à l'aube
Les hauteurs ivres de l'assomption des fleurs.
Derrière ce nulle part, le parasol du désir reste à jamais ouvert :
Et quand le souffle de la soif frémit dans la racine d'une feuille
Les cloches de la pluie se mettent à sonner.
Ici l'homme est tout seul
Et dans cette solitude
L'ombre de l'orme s'étend jusqu'à l'éternité.

Si vous venez m'y chercher,
Venez-vous-en donc lentement et doucement
De crainte que ne se raye
La porcelaine de ma solitude.

[1] Un lieu nulle part : Hishestan, on songera au Na Koja Bad, le pays du non-où de Sohravardi
[2] Chardons : Qasadeh, fleur messagère en Iran

Sohrâb Sepehrî, Les pas de l'eau, Orphée La Différence

jeudi 17 mars 2011

Sohrâb Sepehri : L'exil

Sohrâb Sepehrî
L’EXIL

La lune flotte au-dessus du village
Tandis que dorment les gens.
Etendu sur le toit à la belle étoile
Je me grise des arômes qu’exhale la terre crue de l’exil
La lampe vacille dans le jardin du voisin.
Ma lampe, défaillante, demeure éteinte.
La lune cisèle les contours de l’assiette où veillent les concombres.
Elle découpe le galbe de la cruche de terre.

Les crapauds chantent et parfois
Une chouette des bois.

La montagne est toute proche : derrière les érables, derrière les sorbiers.
Visible aussi le désert argenté.
On n’y voit pas les pierres, on n’y voit pas les épines sauvages.
Au loin chancellent des ombres comme la solitude des eaux,
Comme le chant de Dieu.

Il doit être minuit.
On dirait que la Grande Ourse est à deux pas du toit.
Le ciel n’est pas bleu.
Pourtant le jour l’a été.

Puissé-je me souvenir d’aller demain au jardin de Hassan
Et d’acheter des prunes et des abricots !
Puissé-je me souvenir d’aller demain au bord de l’étang et d’y dessiner les chèvres,
D’y dessiner les roseaux et leurs ombres sur l’eau !
Puissé-je me souvenir de sauver aussitôt tout papillon
Qui tomberait par mégarde dans l’eau !
Puissé-je me souvenir de laver demain mes linges dans le ruisseau !
Puissé-je me souvenir que je suis seul !

Au-dessus de la solitude flotte la lune.

Sohrâb Sepehrî, Les Pas de l'eau, Orphée La Différence

mercredi 16 mars 2011

Sohrâb Sepehrî : Lumière, moi-même, fleurs, eau

My Mother, Sohrâb Sepehrî
Lumière, moi-même, fleurs, eau

Pas de nuage.
Pas de vent.
Je m’assieds au bord du bassin :
Jeu frétillant des poissons, lumière, fleurs, eau, reflet de moi-même.
Eclat virginal de la grappe de vie.
Ma mère cueille du basilic.
Pain, basilic et fromage.
Ciel sans taches, pétunias lavés à la pluie.
Salut imminent : accroché aux fleurs du jardin.

Que de caresses ne verse-t-elle pas, cette lumière
Qui rêve dans le bol de cuivre !
L’échelle se prolongeant jusqu’au sommet du mur
Fait descendre l’aube sur la terre.
Derrière le sourire se cachent tant de choses.
Le mur du temps est percé d’un trou
Au travers duquel je vois mon visage.
Il y a tant de choses dont j’ignore le secret !
Je sais que je mourrai si j’arrache un jour un brin d’herbe.
Je prends mon essor jusqu’à la voûte céleste :
Ne suis-je donc pas tout pourvu d’ailes ?
Je me fraie un chemin dans les ténèbres :
Ne suis-je donc pas tout armé de lanternes ?
Je suis toute lumière, tout empli du sable des plages,
Tout branchage, tout feuillage.
Je suis plein de routes, de ponts, de rivières, de vagues,
Débordant du reflet des feuilles sur les eaux.
Et pourtant combien est profond ce vide de mon être !

Sohrâb Sepehrî, Les Pas de l’eau, Orphée La Différence

Barjavel : "Le naturel est miraculeux"

Paysage aux prodiges, André Masson

"Pour se rendre compte objectivement de l’effarante multitude de prodiges que constitue le vivant, il convient de l’examiner avec une attention et une réflexion débarrassées de l’accoutumance.
Que Lazare sorte de son tombeau, c’est un miracle. Mais si tous les morts se mettent à en faire autant, notre étonnement va disparaître très vite et l’habitude nous fera considérer la résurrection comme un phénomène naturel dont nous allons nous attacher à connaître les particularités constantes, pour les nommer lois…
Nous sommes entourés de miracles auxquels nous sommes habitués. Nous vivons par miracles, tout le vivant est miraculeux dans ses moindres détails, mais nous sommes si accoutumés au merveilleux quotidien qu’il a perdu tout pouvoir de nous émerveiller.
Qu’y a-t-il, par exemple, qui nous paraisse plus ordinaire que les oreilles ? Deux pavillons biscornus un peu ridicules prolongés par deux trous dans la tête. Emergées de l’utérus maternel en parfait état de fonctionnement, elles se sont mises aussitôt à nous servir sans le moindre apprentissage de notre part. Elles captent les vibrations du monde extérieur et les transforment pour nous en un monde sonore, sans que nous ayons à y faire le moindre effort. Nous n’avons pas besoin d’écouter pour entendre. Qu’un rossignol trémolise pour sa belle et que les vibrations de l’air modulé par sa gorge résonnent dans notre cerveau, nous n’irons tout de même pas nous en étonner ? C’est tout naturel.
Naturel. Oui. Naturel.
Le naturel est miraculeux."

René Barjavel, La Faim du tigre, Folio

mardi 15 mars 2011

Emily Dickinson : Morning is due to all

A sunrise on Lake George, Sanford Robinson Gifford
Morning is due to all-
To some-the Night-
To an imperial few-
The Auroral light.

Le Matin est dû à tous
A certains - la Nuit -
A quelques êtres souverains -
L'Aurorale lumière

Emily Dickinson

lundi 14 mars 2011

Sohrâb Sepehrî biographie

Sohrâb Sepehrî

Sohrâb Sepehrî est né à Kashan en 1928. Il fait ses études primaires et secondaires dans sa ville natale. En 1948, il s'inscrit à l'Ecole des Beaux-Arts de Téhéran, il y achève ses études en 1953 et obtient le premier prix. Il publie son premier recueil de poèmes Mort de la couleur (Marg-e-rang) en 1951. En 1957 il voyage en Europe, visite l'Angleterre puis s'installe à Paris où il s'inscrit à l'École des Beaux-Arts pour étudier la lithographie. En 1960 il obtient le premier prix de la biennale de peinture à Téhéran. Cette même année il voyage au Japon, y séjourne plusieurs mois et y fait l'apprentissage de la gravure sur bois chez un maître japonais.
En 1961 il publie son deuxième recueil de poésie Décombres du soleil (Âvâr-e âftâb) puis L'Orient de la tristesse (Shargh-e-andûh). En 1964, il se rend en Inde et au Pakistan où il reste plusieurs mois. En 1965 il publie son célèbre Les Pas de l'eau (Sedây-e pay-e âb) et après un séjour en Europe il publie un autre long poème, Le Voyageur (Mosâfer) qui paraît dans la revue Arash.
En 1967 paraît l'Espace vert (Hajm-e sabz), son œuvre la plus célèbre qui fait sa renommée comme un des poètes les plus originaux de l'Iran contemporain. Il participe en 1969 à la biennale de Paris puis se rend à New York où il expose ses toiles à la galerie de Paris. En 1973, il s'installe de nouveau à Paris à la Cité des Arts pendant un an. En 1977 paraît le recueil complet de sa poésie sous le titre de Huit livres (Hasht ketâb) où paraissent aussi les derniers poèmes : Tout néant, tout regard (Mâ hitch, mâ negâh).
Sohrâb Sepehrî s'éteint en avril 1980 à la suite d'une leucémie aiguë. En 1990 paraissent les essais posthumes du poète sous le titre de La Chambre bleue (Otagh-e âbî).

Source : Orientation biobibliographique, in Sohrâb Sepehrî, Les Pas de l'eau, Traduit du persan et présenté par Daryush Shayegan, Orphée La Différence

Sohrâb Sepehrî : Les Pas de l'eau (extrait)

Peinture de Sohrâb Sepehrî

Magnifique chant mystique où l'adoration adressée à Dieu par l'homme se confond avec celle adressée par la nature au Créateur. Par le biais du rituel religieux, l'homme entre en harmonie et en communion avec la création en un même élan d'adoration. Foi, nature et homme ne font alors plus qu'un.
En lisant cet extrait de poème, on ne peut manquer de songer au verset coranique affirmant : "Les sept Cieux, la Terre et tout ce qu'ils renferment célèbrent le Nom du Seigneur, et il n'est rien dans la Création qui ne proclame Sa gloire. Mais vous ne comprenez pas leur façon de L'exalter. En vérité, Dieu est Plein de compassion et de mansuétude." (Coran, XVII, 44)

"Je suis musulman.
J'ai comme direction de la Mecque une rose.
Comme napperon de prière une source.
Comme sceau de prière la lumière.
La plaine est le tapis de ma prière.
Je fais mes ablutions aux vibrantes fenêtres de la lumière.
Dans ma prière coule la lune.
Coulent les couleurs de l'arc-en-ciel.
A travers ma ferveur transparaît la pierre
Tant sont diaphanes les cristaux de ma prière.
Je commence ma prière quand le vent évoque
L'appel du Muezzin sur le minaret du cyprès.
Je commence ma prière quand l'herbe invoque
Le Nom de Allah le Très-Haut,
Quand la vague se dresse à l'appel vertical de Dieu.
Ma Kaaba est au bord de l'eau.
Ma Kaaba est sous les acacias.
Ma Kaaba est une brise qui souffle de jardin en jardin, de ville en ville.
Ma "Pierre Noire" est la clarté vive des parterres."

Sohrâb Sepehrî, Les Pas de l'eau, Orphée La Différence

dimanche 13 mars 2011

Carl Sandburg : Buffalo Dusk

Albert Bierstadt
Buffalo Dusk

The buffaloes are gone.
And those who saw the buffaloes are gone.
Those who saw the buffaloes by thousands and how they pawed the prairie sod into dust with their hoofs, their great heads down pawing on in a great pageant of dust.
Those who saw the buffaloes are gone.
And the buffaloes are gone.

Carl Sandburg

Sohrâb Sepehri : "Les Pas de l'eau"


4e de couverture :

Sohrâb Sepehri (1938-1980). Originaire des oasis de Kâshâh, la "Terre verte", Sepehrî s'est voulu solitaire, guetteur à la croisée des temps, des éléments et des cultures. Et pénétré de sa vocation à dépasser la pauvreté spirituelle deu siècle, à retrouver les sources d'une mémoire, les pouvoirs d'un langage se pliant mal au "lyrisme de pensée". En même temps, il renoue avec les leçons de Hâfez et de Rûmî, enchâssant dans ses vers la beauté de la vie pastorale, de l'instant, et la nécessaire pérennité du "nulle part", refuge consenti "de crainte que ne se raye la porcelaine de ma solitude". Le choix, la traduction (en collaboration avec l'auteur), et la présentation sont de Daryush Shayegan.

Emily Dickinson : Those - dying then

Twilight in the Wilderness, Frederick Chruch

"Those - dying then,
Knew where they went -
They went to God's Right Hand -
The Hand is amputed now
And God cannot be found -

The abdication of Belief
Makes the Behavior small -
Better an ignis fatuus
Than no illume at all -

Ceux qui mouraient alors
Savaient où ils allaient -
Ils allaient, c'était clair,
A la Droite de Dieu -
Or cette Droite aujourd'hui est tranchée
Et Dieu on ne sait où -

Mais abdiquer sa Foi
Rapetisse la Conduite -
Mieux vaut un feu follet
Que nulle lumière -

Emily Dickinson

Trad. Pierre Leyris, in Esquisse d'un anthologie de la poésie américaine du XIXe siècle, Gallimard

vendredi 11 mars 2011

Hâfez : L'espoir de m'unir à Toi me tient en vie

Reza Abassi
Le ghazal 294 est un magnifique chant d’un amant qui vit dans l’éloignement d’un Bien-Aimé qui est tout pour lui. Il l’est à ce point que la mort sous Son glaive lui est préférable à tout secours venant d’un autre. Le ghazal entier peut être récité à Dieu comme un psaume.

« Que mille adversaires cherchent ma perte,
Si Tu m’es ami, je n’ai crainte des ennemis.

L’espoir de m’unir à toi me tient en vie,
Sans quoi, je crains à tout moment qu’être séparé de Toi me perde.

D’instant en instant si je ne perçois dans le vent Ton parfum,
De moment en moment, comme la rose, de chagrin je déchire mon col.

Les deux yeux iraient-ils dormir et quitter Ton image de rêve ? Jamais !
Le cœur serait-il patient à distance de Toi ? Que non !

Je préfère la blessure que Tu donnes au baume qu’un autre y met.
Je préfère le poison que Tu donnes à la thériaque des autres.

Ma mort par le coup de Ton épée est notre vie éternellement !
Car mon âme se trouve bien d’être immolée à Toi.

Ne tourne pas bride ! Si Tu me frappes de l’épée,
Je fais de ma tête un bouclier et ne lâche pas la sangle de Ta selle.

Comment chaque regard Te verrait tel que Tu es ?
Chacun comprend à la mesure de sa vue.

Aux yeux des gens Hâfez deviendra grand à ce moment
Où à Ta porte il posera sur la poussière sa face de misère.

Hâfez, Le Divân, Introduction, traduction du persan et commentaires par Charles-Henri de Fouchécour, Verdier poche

jeudi 10 mars 2011

Emily Dickinson : A Word is Dead

The Tale, William Merit Chase
Le verbe est vivant et créateur nous dit Emily Dickinson :

"A word is dead
When it is said,
Some say.

I say it just
Begins to live
That day."

"Un mot est mort
Quand il est dit,
Disent-ils.
Je dis, moi,
Qu'il commence à vivre
Ce jour-là."

Emily Dickinson

Trad. Pierre Leyris, in Esquisse d'une anthologie de la poésie américaine du XIXe siècle, Gallimard

mercredi 9 mars 2011

Emily Dickinson : There's a certain Slant of Light

Walter Launt Palmer

Les après-midi d’hiver, un certain rayon de lumière oblique frappe (Heavenly Hurt) certaines personnes et exerce sur elles une action transfiguratrice.
On aurait tort de croire qu’il s’agit ici de la lumière naturelle du soleil. Les terme « oblique » (slant) et Céleste (Heavenly) nous indiquent que l'auteur fait allusion à une lumière d'une nature autre que matérielle, la lumière oblique est d'essence subtile et spirituelle et agit par conséquent sur l'état spirituel de celui qui la perçoit. Elle ne peut être appréhendée, étudiée ou comprise (None may teach it). Elle ne laisse aucune marque (scar) sur le corps mais agit sur l'âme en exerçant sur elle un pouvoir d’attraction (heft). L'âme alors s'éveille au monde spirituel et perçoit les significations profondes (meanings) de la forêt de symboles qui l'entoure. Le monde retrouve son sens perdu. Il parle à l'individu et devient compréhensible. De morte, la nature reprend vie : le paysage écoute (landscape listens) et les ombres respirent (breath). Cette lumière oblique, en se retirant, ne peut que laisser au vide créé derrière elle les apparences de la mort.

There's a certain Slant of light,
Winter Afternoons -
That oppresses, like the Heft
Of Cathedral Tunes -

Heavenly Hurt, it gives us -
We can find no scar,
But internal difference,
Where the Meanings, are -

None may teach it - Any -
'Tis the Seal Despair -
An imperial affliction
Sent us of the Air -

When it comes, the Landscape listens -
Shadows - hold their breath -
When it goes, 'tis like the Distance
On the look of Death -
---------------
Traduction (je suis plutôt réservé quant à cette traduction) :

Il est un certain Rai oblique
Des Après-midi d'Hiver
Qui oppresse comme Pèsent
Tels Hymnes de Cathédrale.

Il nous porte un Coup Céleste -
Ensuite, aucune cicatrice
Mais une référence interne
Au siège des divers Sens.

Nul ne peut l'enseigner - Personne -
C'est le Sceau nommé Désespoir -
Une affliction souveraine
Nous est mandé par les Airs -

Vient-elle, le Paysage écoute -
Les Ombres retiennent leur souffle -
S'en va-t-elle, c'est comme la Distance
Que trahit l'aspect de la Mort.

Emily Dickinson

Trad. Pierre Leyris, in Esquisse d'une anthologie de la poésie américaine du XIXe siècle, Gallimard

dimanche 6 mars 2011

Hâfez : Du vin ! Du vin, ô amis

Echanson servant du vin, Palais de Chehel Sotun, XVIIe siècle, Ispahan,

L'aube est un moment particulier pour Hâfez, c'est le moment du lever de l'astre solaire. La lumière va dissiper les ténèbres. La prière effectuée à l'aube est considérée par Hâfez comme la plus efficace : elle est toujours entendue et exaucée. Le vin, s'il est besoin de le rappeler, est le symbole de l'extase mystique pour les soufis.

"Pointe l'aube et le nuage a tendu son fin rideau.
Le vin de l'aube ! Le vin de l'aube, ô compagnons !

Goutte la rosée sur la face de la tulipe.
Du vin ! Du vin, ô amis !

Dans l'allée du jardin les fleurs ont dressé un lit d'émeraudes.
Saisis le vin pareil au rubis incandescent !

De nouveau ils ont fermé la porte de la taverne. [1]
Ouvre, ô Toi qui ouvres les portes !

En pareille saison, il est étrange [2]
qu'ils aient fermé en toute hâte la taverne !"

[1] "ils", ce sont les autorités religieuses, les docteurs de la loi, rigides, bornés et sourcilleux.
[2] "saison", mousem qui selon le contexte signifie aussi "printemps". Extase, aube, rosée, printemps, autant de symboles de l'éveil et de la résurrection spirituels.

Hâfez, Le Divân, Verdier poche, Ghazal 13

samedi 5 mars 2011

Barjavel et les ayât du Coran

Les Muqarnas, éléments caractéristiques de l'architecture islamique, évoquant par leur profusion et leur forme géométrique en alvéole, la création perpétuelle de Dieu et l'harmonie dans l'Univers

L’Islam est considéré comme une religion naturelle. Le Coran se réfère énormément aux éléments et aux phénomènes naturels : vent, pluie, éclair... Il invite inlassablement l’homme à utiliser sa raison (‘aql) pour méditer sur la création et à voir en elle et dans sa merveilleuse harmonie, des signes (ayât) et des preuves de l’existence de Dieu. Le terme ayat (pl. ayât) dans le Coran est employé pour désigner tout à la fois les phénomènes naturels, les versets du Coran et les miracles accomplis par les prophètes. Ainsi, chaque phénomène naturel est un miracle et un verset (ayat) de Dieu et chaque verset du Coran est un miracle et un signe (ayat). L’univers est un livre et le Coran, un microcosme. Aux incrédules et aux incroyants qui demandaient à Muhammad d'apporter des preuves de l’existence de Dieu en accomplissant un miracle, le Coran les invitait simplement à tourner leur regard sur le monde. Tous les éléments de la création et leurs bienfaits, l’harmonie qui existe dans le monde sont autant de miracles et proclament l’existence d’un Créateur Puissant, Miséricordieux et Sage (lire ci-desous, Coran XVI, 3-18). Face à l’accumulation de tant de preuves dans la création, le Coran pose même la question de savoir s’il est possible de douter de l’existence Dieu. La création n’est que signes et témoignages, preuves et miracles.
En lisant « La faim du tigre » et « Demain le Paradis » de René Barjavel, que de passages de ces deux livres ne m’ont pas fait penser à des versets du Coran, à cette notion d’ayat et à tout cet argumentaire coranique reposant sur les miracles naturels pour affirmer l’existence de Dieu. Voici un extrait tiré de "Demain le Paradis".

"C’est un miracle comme il s’en produit des milliards de milliards, sans arrêt autour de nous et en nous. Nous n’y prêtons pas la moindre attention, parce que ces miracles sont habituels, banals, ordinaires.
Sauf accident ou incident, nous ne prêtons aucune attention au travail que fait en nous l’air qui nous traverse. Nous l’appelons sans y penser, par un mouvement automatique, dans notre corps qui ne saurait se passer de lui plus de trois minutes sans périr. Nous ne nous mêlons pas de surveiller l’aller et le retour en nous de ce fluide qui est en même temps notre principale nourriture et le grand éboueur de notre organisme.[…] Mais nous devrions savoir que l’air est en nous, toujours, qu’il entre et qu’il sort après avoir travaillé pour nous, sans cesse. Et parfois, avoir pour lui une pensée de profonde gratitude et d’amitié. Même s’il pue. Ce n’est pas sa faute mais la nôtre. […]
Si on regarde autour de soi avec amitié, alors on rencontre une feuille transpercée par la lumière, l’œil d’un enfant qui verra un soir les étoiles, le vol parfait d’un oiseau, la mystérieuse moustache du chat, l’arabesque d’un geste, l’éclatement et la fraîcheur d’une goutte de pluie sur le dos de la main… Et la connaissance et l’émerveillement s’approchent…
Je voudrais écrire des milliers de pages émerveillées pour apprendre à mes lecteurs la joie d’être un vivant dans le monde miraculeux de la vie. Mais il faudrait plus de temps qu’il ne m’en reste.
Des phrases imprimées ne sont d’ailleurs pas nécessaires. Le monde est un livre ouvert. Autour de nous, il nous présente ses messages, les infinies variations de sa beauté, et ses certitudes. Chacun peut y lire directement ce qui lui est offert, et offert à tous. Il lui suffit d’ouvrir sa curiosité, son intelligence et son cœur." René Barjavel, Demain le paradis, Denoël, pp. 77-79

Les versets ci-dessous (Coran XVI, 3-18) illustrent particulièrement bien la notion d'ayat pour se référer aux phénomènes naturels. On remarquera l'insistance coranique à attirer l'attention de l'homme sur la création en énumérant longuement les différents éléments de la nature et en rappelant continuellement les bienfaits qu'ils apportent à l'homme. On relèvera aussi les encouragements répétés du Coran à utiliser la raison ('aql) pour réfléchir sur cette création. On ne peut manquer de songer ici à cet admirable travail de réflexion auquel Barjavel s'est livré en observant le fonctionnement de l'oreille humaine dans La Faim du tigre et celui de l'oeil dans Demain le Paradis pour nous démontrer que l'extrême ingéniosité de leur constitution ne peut être le fruit du hasard.  Barjavel musulman ? Je ne sais pas. Peu importe d'ailleurs. En tout cas, son admirable travail d'observation de la création devrait constituer un modèle de la démarche intellectuelle que tous les musulmans se doivent de pratiquer sur les Signes (ayât) de Dieu.
En lisant les versets suivants, on gardera à l'esprit les trois acceptions du mot ayat : verset, signe, miracle.

"Il [Dieu] a créé les cieux et la terre en toute vérité.
Il est très élevé au-dessus de ce qu'on lui associe !
Il a créé l'homme d'une goutte de sperme,
et voilà que celui-ci se montre querelleur.
Il a créé pour vous les bestiaux.
Vous en retirez des vêtements chauds,
d'autres avantages encore
et vous vous en nourrissez.
Ils vous semblent beaux
quand vous les ramenez le soir
et quand vous partez au matin.
Ils portent vos fardeaux vers une contrée
que vous n'atteindriez qu'avez peine.
- Votre Seigneur est bon et miséricordieux -
Il a créé pour vous
les chevaux, les mulets et les ânes,
pour que vous les montiez et pour l'apparat.
Il crée pour vous ce que vous ne savez pas !
La voie droite appartient à Dieu ;
certains s'en détachent,
mais Dieu vous dirigerait tous,
s'il le voulait.
C'est lui qui fait descendre du ciel
l'eau qui vous sert de boisson
et qui fait croître les plantes
dont vous nourrissez vos troupeaux.
Grâce à elle, il fait encore pousser pour vous
les céréales, les oliviers, les palmiers, les vignes
et toutes sortes de fruits.
Il y a vraiment là un Signe (ayat)
pour un peuple qui réfléchit !
Il a mis à votre service
la nuit, le jour, le soleil et la lune.
Les étoiles sont soumises à son ordre.
Il y a vraiment là des Signes (ayât)
pour un peuple qui comprend !
Ce qu'il a créé pour vous sur la terre
est de couleurs variées.
Il y a vraiment là un Signe (ayat)
pour un peuple qui réfléchit !
C'est lui qui a mis la mer à votre service
pour que vous en retiriez une chair fraîche
et les joyaux dont vous vous parez,
- Tu vois le vaisseau fendre les vagues avec bruit -
pour que vous partiez à la recherche de ses bienfaits.
Peut-être serez-vous reconnaissants !
Il a jeté sur la terre des montagnes comme des piliers
- afin qu'elle ne branle pas et vous non plus -
des rivières,
des chemins qui serviront peut-être à vous guider
et des points de repères.
- Les hommes se dirigent d'après les étoiles -
Celui qui crée
est-il semblable à celui qui ne crée pas ?
Ne réfléchissez-vous pas ?
Si vous comptiez les bienfaits de Dieu,
vous ne saurez les dénombrer.
Dieu est celui qui pardonne, il est miséricordieux."

Traduction du Coran par Denise Masson, Folio

mercredi 2 mars 2011

Emily Dickinson : At least - to pray - is left - is left

Approaching Storm, Edward Mitchell Bannister

At least—to pray—is left—is left—
Oh Jesus—in the Air—
I know not which thy chamber is—
I'm knocking—everywhere—

Thou settest Earthquake in the South—
And Maelstrom, in the Sea—
Say, Jesus Christ of Nazareth—
Hast thou no Arm for Me?

Au moins - prier - reste - reste -
Ô Jésus - des Airs -
Je ne sais quelle est ta chambre -
Je frappe - partout -

Toi qui fais trembler la Terre
Et qui déchaînes la Mer,
Dis, Jésus de Nazareth,
N'as-tu pas un Bras pour Moi ?

Emily Dickinson

Emily Dickinson : A Light exists in Spring

Squam Lake, William Trost Richards

Un poème de circonstance, à l’approche du Printemps. Une lumière particulière, uniquement présente à cette période de l’année, existe et illumine l’espace. Par la contemplation de cette lumière quasi surnaturelle, l’observateur entre en communion avec la nature et connaît une véritable expérience mystique et gnostique. L'évanouissement progressif de cette lumière au fil des heures de la journée laisse dans l’âme un sentiment de perte semblable à une profanation.

A light exists in spring
Not present on the year
At any other period.
When March is scarcely here

A color stands abroad
On solitary hills
That science cannot overtake,
But human nature feels.

It waits upon the lawn;
It shows the furthest tree
Upon the furthest slope we know;
It almost speaks to me.

Then, as horizons step,
Or noons report away,
Without the formula of sound,
It passes, and we stay:

A quality of loss
Affecting our content,
As trade had suddenly encroached
Upon a sacrament.

Emily Dickinson