Sindbad PUZZLE

Retrouvez des chefs-d'oeuvre de la miniature persane et indienne en PUZZLES sur le site : http://www.sindbad-puzzle.com/

lundi 9 mai 2011

Rabi'a al-Adawiyya

'Ishq, l'Amour Passion

Rabi'a al-Adawiyya, issue des Al-Atik, une tribu des Kaïs, serait née en l'an 95 de l'Hégire (713 après J.-C).
Quatrième fille (d'où son nom de Rabi'a : quatrième) d'une famille très pauvre, s'il faut en croire Attar, elle se serait très tôt retrouvée orpheline.
Vendue comme esclave, elle fut remise en liberté, rapporte la tradition, par son maître qui la découvrit un jour absorbée dans la prière et enveloppée de lumière.
D'autres sources affirment qu'elle aurait été joueuse de flûte et prostituée.
Au sortir de cette période trouble de sa vie, Rabi'a se serait retirée dans le désert, puis à Basra (dans l'actuel Irak).
Là, un petit cercle de disciples commence à se former autour d'elle, recueillant ses enseignements et ses conseils. Il faut citer parmi eux Malik b. Dinar, Rabah al-Kaïs, Sufyan al-Thawri et Shakik al-Balkhi.
Peu à peu, la renommée de Rabi'a s'étend et les plus grands savants et politiques de son temps s'honorent de lui rendre visite dans sa misérable habitation.
Sa vie d'extrême ascétisme et de réclusion attire le respect de tous. Son enseignement suscite d'étonnement et l'admiration. L'amour mystique et la communion avec la Divinité en constituent les thèmes centraux. Pour qui aime d'un tel amour, la recherche du Paradis, la crainte de l'Enfer, la vénération du Prophète perdent toute signification.
Bien avant Hallaj et les grand soufis, Rabi'a est ainsi l'une des premières à dépasser la démarche ascétique traditionnelle pour appeler à l'union parfaite avec Dieu et la célébrer dans des poèmes d'une brûlante ferveur.
En cela son influence fut déterminante et une femme, Rabi'a, peut être tenue pour l'un des maîtres fondateurs de la mystique musulmane.
Rabi'a mourut à Basra, âgée de près de quatre-vingt dix ans, en l'an 185 de l'Hégire (801 après J.-C).
Une tradition, plus vraisemblablement relative il est vrai à Rabi'a al-Shamiyya, rapporte que Rabi'a aurait été enterrée à Jérusalem, sur le Mont des Oliviers, et que sa tombe devint un lieu de pèlerinage.

Source : Chants de la recluse, Traduit de l'arabe par Mohammed Oudaimah et Gérard Pfister

vendredi 6 mai 2011

Hâfez de Chiraz : Ce que Hâfez a dit de lui

 
Coupe, Iran, XIe siècle, Trésor de St-Marc, Venise

"Hâfez n'est pas dans l'arène des gens de pouvoir, il appartient à l'assemblée des amants. Pourtant on le voit souhaiter parfois être à la fête de la cour. Il est homme du paradis, mais il aime Chiraz, ses beautés, ses jeunes beautés. Il a une haute ambition, mais la gloire et l'argent ne l'intéressent nullement. Homme au regard élevé, il se reconnaît dans la figure du faucon royal et sait que son vrai séjour n'est pas ici-bas. Il a quitté le couvent auquel il a appartenu, car "on n'entrave pas les pieds des hommes libres". Il est soufi d'un outre-monde. Pourtant aussi, il est imparfait, puisqu'il cache en sa manche une idole. Il consent à n'être que ce que le destin lui a destiné. Il avance au désert dans la Quête. Car il a été séduit à jamais par l'Aimé, et cette séduction a anéanti en lui quarante années de savoir et de vertu. La parole ? C'est l'amour qui le lui a apprise. De sorte que sa poésie mérite de l'or. Elle est d'une grande finesse. Parole de gnose, elle est aussi un talisman contre le mauvais oeil. Le grand Nézâmi ne l'égale pas plus en parole qu'en pensée. A plus forte raison les autres poètes. Il a une belle voix, ses mots sont doux. Sa poésie déclamée est accompagnée de musique, Vénus elle-même ne fait pas aussi bien. C'est une parole connue du monde entier. Mais seuls les amants parlent en bien de lui. Sa parole restera un mémorial de vie. Il bouleverse ses auditeurs et il ne faut pas attendre de lui quiétude et sommeil, il n'accorde nul répit. Assurément, il fait partie des croyants, il est musulman, mieux même : il a en son coeur un Coran. De tête, il peut le réciter dans ses quatorze recensions. Mais c'est l'amour qui lui vient en aide. Il prie la nuit, il récite le Coran, entend les leçons qu'on en tire. Ce Coran qu'il vit ne lui a pas donné une vie heureuse et facile. De sorte que, parmi les soufis à l'hypocrisie notoire, il a une réputation d'infamie. Que dis-je ! Sa corruption est sans remède. Eh bien oui, plutôt que de refuser hypocritement le vin qu'on lui présente, il préfère dire franchement qu'il l'accepte ! Il aime même sa réputation d'hypocrite. Pour certains, il est récitant du Coran, pour d'autres il est videur de coupes, en fait, "je suis ce que tu vois". Il ironise sur son apparente turpitude, oui, il boit. Sans vin et sans luth, Hâfez n'existerait pas. Reste à savoir de quoi il s'agit. Le soufi est un videur de coupe, et Hâfez se garde du flacon, si vous voulez tout savoir. Finalement, sa vie est un mystère, même à ses propres yeux. A qui se confier ? Son unique confident est le vent. Quant à lui, il est le gardien de son propre mystère. Et si être musulman, c'est l'être comme Hâfez, alors attendez-vous à bien des surprises au Jour du Jugement ! Pour l'heure, quand vous passerez près de sa tombe, sachez qu'elle vous sanctifiera. Car il a quitté ce monde en gardant l'espoir de rencontrer la face de son Aimé. Vous pourrez dire aussi : "Je n'ai rien vu de plus beau que ton poème, Hâfez, j'en jure par le Coran que ta as en ton coeur !"
Voici donc le Hâfez que les princes buveurs et batailleurs, mais amis des lettres, ont eu devant eux, ont aimé et protégé.

Charles-Henri de Fouchécour, in Le Divân, Hâfez de Chiraz, Verdier poche

jeudi 5 mai 2011

Hâfez de Chiraz : Le Divân


4e de couverture :

Hâfez est le poète majeur de la poésie lyrique persane. Il vécut au quatorzième siècle à Chiraz. Les mots de ses poèmes sont ceux des spirituels de son temps, aussi ceux des fêtes à la cour, ceux des soldats ou de la chasse, du commerce, du jardin ou de la rue. Mais ses poèmes sont surtout habités du désir de voir le visage de l’Aimé, désir que ne font qu’aviver toutes les réalités du monde. Et si Hâfez jouit en Iran d’un prestige populaire qui ne s’est jamais démenti, c’est peut-être parce que l’amour a dans son œuvre une place si éminente qu’il semble effacer les frontières entre l’humain et le divin.
La traduction complète du Divân est la première qui paraît en français. Toute l’érudition du traducteur, Charles-Henri de Fouchécour, est mise au service de la beauté de la langue et du souci que chacun puisse faire de cette œuvre une lecture personnelle et approfondie.

Avis personnel :

Magnifique livre qui regroupe tout le Divân (recueil de poésie) de Hafez. Hâfez y chante l’Amour, l’ivresse mystique, la beauté de l’Aimé, sa passion pour l’Aimé, son désir incessant d’être perpétuellement dans la présence de l’Aimé. Aussi les poèmes évoquent avec une finesse et une pénétration psychologique rare la palette des sentiments passionnels éprouvés sous le feu de l’Amour. Les poèmes d’amour se muent en supplications, prières, plaintes, réprimandes, atermoiements adressés par l’amant à l’Aimé.
Chaque poème est commenté avec précision par le traducteur Charles-Henri de Fouchécour. Son introduction nous éclaire sur la place du Divân dans la littérature persane, situe l’œuvre et la vie de Hafez dans le contexte historique de l’époque. Les princes descendants des envahisseurs mongols dominent l’Iran en ce XIVe siècle et gouvernent leurs principautés en administrateurs et en mécènes éclairés, Tamerlan ravage le Moyen-orient, les confréries soufies se développent et le chiisme s’enracine solidement dans la région.
Les compétences déployées par Charles-Henri de Fouchécour pour nous aider à faire comprendre le Divân sont admirables. On reste impressionné par son érudition en lettres persanes, sa connaissance précise du Coran, sa maîtrise du Persan et le travail monumental accompli par lui pour traduire et commenter le Divân.
Le Divân est une œuvre immense. Des générations de lecteurs iraniens se sont tournées et se tournent toujours vers cette œuvre pour y trouver conseils, joie et réconfort dans les moments de peine et de détresse. ou lors des événements particuliers de la vie. Le Divân brûle de l’amour passion de Hâfez pour l’Aimé. Seul l’Amour vaut la peine d’être vécu et les souffrances qu’il inflige, même les plus intolérables, valent infiniment plus que toutes les joies et les plaisirs offerts par le monde sensible.

Amaru : Poèmes érotiques


L’amant soumis

La haine, ô ma belle, a donc pris décidément dans ton cœur la place de l’amour !... Eh bien soit : puisque tu le veux, il faut bien s’y soumettre. Mais rends moi, je te prie, avant notre rupture, toutes les caresses que je t 'ai faites, et tous les baisers que je t’ai donnés

La protégée de l’amour

Où vas tu donc ainsi, fille charmante, au milieu de la nuit ?
- Je vole où m’attend celui qui m’est plus cher que l’existence.
- Quoi ? toute seule, et tu n’éprouves aucune crainte ?
- Eh ! n’ai je pas pour compagnon de voyage l’Amour aux flèches acérées ?

La fidélité à l’épreuve

Pauvre innocente, quoi ! dans l’excès de ta simplicité, consentirais-tu donc à sacrifier ainsi les plus beaux instants de ton existence à un seul amant qui te trahit peut être ?... Allons, ma chère, un peu de hardiesse : quelle folie de se piquer d’une fidélité à toute épreuve ! allons donc, du courage !... « Paix, paix ! » répond à sa perfide conseillère la jeune fille tout effrayée ; prends garde : ce maître de ma vie qui repose là dans mon cœur va t’entendre !...

Le feu de l’amour

Le feu de l’amour qui, jusque dans les guirlandes de fleurs, les pétales du lotus ami de l’onde, dans des vêtements humides, dans les gouttes de rosée que distillent les frais rayons de la lune, dans l’essence du santal, trouve de nouveaux aliments pour activer sa flamme, comment espérer jamais de l’éteindre.

Anthologie érotique d'Amarou, trad. A.L.Apudy, Paris, 1831

lundi 2 mai 2011

Rabia al-Adawiya : "Mon repos, ô frères, est dans ma solitude"

La Beauté (al-Jamal), Fayeq Oweis

"Mon repos, ô frères, est dans ma solitude,
Mon Aimé est toujours en ma présence.
Rien ne peut remplacer l'amour que j'ai pour Lui,
Mon amour est mon supplice parmi les créatures.
Partout où j'ai contemplé sa beauté,
Il a été mon mihrab et ma qibla.
Si je meurs de cet amour ardent et s'Il n'est satisfait,
Oh, cette peine aura été mon malheur en ce monde !
O médecin du cœur, Toi qui es tout mon désir,
Donne-moi une vision qui guérisse mon âme.
O ma joie, ô ma vie pour toujours !
En Toi mon origine, en Toi mon ivresse.
J'ai abandonné entièrement le créé dans l'espoir
Que Tu m'unisses à Toi. Car tel est mon ultime désir."

Rabia al-Adawiya

Chants de la Recluse, Traduit de l'arabe par Mohammed Oudaimah et Gérard Pfister, Arfuyen

dimanche 1 mai 2011

Emily Dickinson et Rabia al-Adawiya les Recluses

The Place at the Window, Julian Alden Weir

En lisant Emily Dickinson (m. 1886), je reste frappé des similitudes que je relève entre elle et son œuvre avec celles d'une autre mystique, musulmane et arabe celle-là, qui vécut au VIIIe siècle (m. 801), Rabia al-Adawiya. A commencer déjà par leur vie de recluses. Les deux d'ailleurs sont désignées, chacune dans leur culture, par le qualificatif de "Recluses". Leur poésie aussi se fait l'écho de convergences étonnantes dont la plus flagrante est certainement leur contenu mystique. Il faudrait un jour qu'un étudiant en littérature comparée mène une étude comparative entre les œuvres des deux mystiques. J'ose ce terme de "mystique" pour Emily Dickinson car pour moi son œuvre est empreinte de spiritualité dans sa quête de l'indicible et d'extase mystique. En la lisant, je ne peux manquer de mettre en parallèle des poèmes de Rûmî ou de Hâfez.
Voici ci-dessous un exemple frappant de similitudes entre Emily Dickinson et Rabia. Les deux poétesses expriment leur désir de se réfugier dans la solitude car vivre au sein de la société est devenu pour elles une véritable souffrance depuis qu'elles ont fait l'expérience mystique d'une rencontre avec le Divin.

Emily Dickinson :

Society for me my misery
Since Gift of Thee
Supplice pour moi que la société
Depuis le Don de Toi
[1]

Un des plus célèbres poèmes de Rabia al-Adawiya commence par ces vers :

Mon repos, ô frères, est dans ma solitude,
Mon Aimé est toujours en ma présence.
Rien ne peut remplacer l'amour que j'ai pour Lui,
Mon amour est mon supplice parmi les créatures.
[2]

[1] Emily Dickinson, Quatrains, traduction de Claire Malroux, Gallimard
[2] Chants de la recluse, Traduit de l'arabe par Mohammed Oudaimah et Gérard Pfister, Arfuyen