Sindbad PUZZLE

Retrouvez des chefs-d'oeuvre de la miniature persane et indienne en PUZZLES sur le site : http://www.sindbad-puzzle.com/

jeudi 28 février 2013

Paul Valéry : un mot excellent du Sultan


Le Sultan Abdul Hamid

"Combien mûrs et beaux les vers de nos grands poètes !"

Sultan Abdul Hamid.

Ce mûrs est d'un connaisseur, mot excellent.

Paul Valery, Tel Quel II, Gallimard

mercredi 27 février 2013

Washington Irving : L'Alhambra au clair de lune



J'ai donné une image de mon appartement tel qu'il était lorsque j'en pris d'abord possession ; il a suffi de quelques soirs pour modifier complètement le tableau de mes impressions. La lune, qui était alors invisible, a gagné peu à peu sur la nuit. La voici qui roule de toute sa splendeur au-dessus des tours, inondant de sa tendre clarté les salles et les cours. Sous ma fenêtre, le jardin est doucement illuminé ; les orangers et les citronniers sont pailletés d'argent ; et la fontaine étincelle dans le clair de lune où l'on perçoit même la rougeur de la rose.
J'ai passé des heures à ma fenêtre à respirer l'air embaumé du jardin et à rêver aux fortunes diverses de ceux dont ces élégants vestiges rappellent l'histoire. Parfois à minuit, lorsque tout repose, je descends errer à travers le palais. Qui pourrait dire la beauté d'un clair de lune sous ce climat et dans un tel lieu ? La température d'un minuit d'été andalou est purement céleste. On se sent comme transporté dans une atmosphère supérieure ; on éprouve une sérénité d'âme, une légèreté d'esprit, un bien-être physique qui font du seul fait de vivre un délice. L'effet du clair de lune sur l'Alhambra a également quelque chose de magique : les fentes et les crevasses, les moindres taches de rouille disparaissent alors ; le marbre reprend sa blancheur primitive ; les longues colonnades paraissent s'éclaircir ; les salles s'illuminent d'un rayonnement diaphane... On se croirait dans un palais enchanté des Mille et une Nuits.
J'aimais alors monter au petit pavillon qu'on appelle le Boudoir de la Reine pour jouir de la vue étendue et diverse qu'on y a. A droite, les cimes neigeuse de la Sierra Nevada brillaient comme des nuages d'argent dans le firmament foncé ; les contours de la montagne se dessinaient en lignes pures, bien qu'adoucies. Mais mon plus grand plaisir était de m'accouder au parapet du tocador et de contempler Grenade étendue à mes pieds comme un plan, ensevelie dans un profond repos avec ses palais et ses couvents endormis, pour ainsi dire, au clair de lune.
Parfois j'entendais les faibles roulades d'une castagnette : c'était un groupe de danseurs qui s'attardait dans l'Alameda ; parfois encore c'étaient les notes hésitantes d'une guitare ; puis, une voix nue s'élevait d'une rue solitaire: je me représentais quelque jeune cavalier faisant une sérénade à la fenêtre d'une belle, coutume charmante d'autrefois, qui est en train de se perdre malheureusement, sauf dans les petites villes et les villages écartés d'Espagne. Telles étaient les scènes qui me retenaient des heures durant, au cours de mes promenades parmi les patios et les balcons du château, où j'éprouvais un mélange délicieux de rêverie et d'impressions qui, dans le sud, supprime la sensation du temps. Il faisait presque jour lorsque je regagnais mon lit où je m'endormais au son berceur du jet d'eau de Lindaraja.

Source : Washington Irving, Contes de l'Alhambra, Editions Miguel Sanchez

Alhambra, vers 1890

samedi 23 février 2013

Edward Hopper : le principe fondateur de la peinture

Edward Hopper, Road in Maine, 1914


Edward Hopper déclarait en 1964, dans une interview sur NBC : « Je sais bien que des peintres contemporains vont manifester le plus grand mépris pour cette citation. Mais je la lirai quand même. Goethe a dit : « La fin première et dernière de toute activité littéraire, c’est la reproduction du monde qui m’entoure via le monde qui est en moi ; toute chose devant être saisie, reprise et recrée, assimilée et reconstruite sous une forme personnelle et originale ». Pour moi, c’est le principe fondateur de la peinture. Et, je sais qu’il existe mille opinions différentes sur la peinture et que beaucoup objecteront que c’est dépassé et désuet. Mais, pour moi, c’est une vérité première. »

jeudi 21 février 2013

Emily Dickinson : Loin de l'Amour le Père Céleste


George Innes, Sunrise, 1887, MET Museum


Far from Love the Heavenly Father
Leads the Chosen Child,
Oftener through Realm of Briar
Than the Meadow mild.

Oftener by the Claw of Dragon
Than the Hand of Friend
Guides the Little One predestined
To the Native Land.

Essai de traduction :

Loin de l'amour le Père Céleste
Mène l'Enfant Elu,
Plus souvent par le Royaume des Ronces
Que par de douces Vallées.

Plus souvent par la Mâchoire du Dragon
Que par la Main d'un Ami
Il Guide le Petit prédestiné
Jusqu'à sa Terre Natale

dimanche 17 février 2013

Rûmî : "Où se trouve la peine, existe un moyen d'y remédier"

Le bâton de Moïse devient un dragon

Dieu dit : "O Moïse ! Que tiens-tu dans ta main ?"
Il répondit : "C'est mon bâton pour le chemin."
Dieu dit : "Jette le bâton de ta main
Puis contemple les prodiges du ciel".
Il le jeta, et le bâton devint un dragon.
Quand il vit le dragon, Moïse prit la fuite.
Dieu dit : "Prends-le, afin que Moi, de nouveau,
Je le transforme pour toi en un bâton.
Je ferai de ton ennemi une main tendue par amitié,
Je métamorphoserai ton ennemi en appui,
Afin que tu saches que c'est seulement par Ma grâce
Qu'existent les amis pleins de charme et de fidélité.
Ta main et ton pied deviendraient pour toi comme un serpent,
Si j'y mettais la souffrance.
O main, ne saisis que Nous-même.
O pied, ne recherche que le But.
Ne fuis pas Notre peine, car partout
Où se trouve la peine, existe un moyen d'y remédier".

Rûmï, Odes mystiques, Editions Klincksieck

mardi 12 février 2013

Gauguin : La Femme à la Fleur

La Femme à la Fleur


"Mais laissons-lui [Gauguin] le soin de décrire, à propos d'un de ses tout premiers tableaux, la rencontre du peintre et de sa première Tahitienne :
"Pour bien m'initier à ce caractère d'un visage tahitien,à tout ce charme d'un sourire maorie, je désirais depuis longtemps faire un portrait d'une voisine de vraie race tahitienne. Je le demandais un jour qu'elle s'était enhardie à venir regarder dans ma case des images photographiques de tableaux [...] j'essayais d'esquisser quelque-uns de ses traits, ce sourire surtout si énigmatique. Je lui demandais à faire son portrait. Elle fit une moue désagréable. [...] puis elle se sauva. [...] Une heure après, elle revint dans une belle robe. Etait-ce une lutte intérieure, ou le caprice (très maorie) ou bien encore un mouvement de coquetterie qui ne veut se livrer qu'après résistance ? J'eus conscience que dans mon examen de peinture, il y avait comme une demande tacite de se livrer, se livrer pour toujours sans pouvoir se reprendre, une fouille perspicace de ce qui était au-dedans. Peu jolie, en somme, comme règle européenne : belle pourtant, tous ses traits avaient une harmonie raphaélique, dans la rencontre des courbes, la bouche modelée par un sculpteur parlant toutes les langues du langage et du baiser, de la joie et de la souffrance : cette mélancolie de l'amertume mêlée au plaisir, de la passivité résidant dans la domination. Toute une peur de l'inconnu.
"Je travaillais vite, avec passion. Ce fut un portrait ressemblant à ce que mes yeux voilés par mon coeur ont aperçu. Je crois surtout qu'il fut ressemblant à l'intérieur. Ce feu robuste d'une force contenue. Elle avait une fleur à l'oreille qu'écoutait son parfum. Et son front, dans sa majesté, par des lignes surélevées, rappelait cette phrase de Poe : "Il n'y a pas de beauté parfaite sans une certaine singularité dans les proportions." Le tableau qui fut le fruit de cette visite est, après une esquisse où le modèle porte la fleur à l'oreille, la belle Vahiné no te tiare (La Femme à la Fleur) du musée de Copenhague."

Source : Françoise Cachin, Gauguin, Le Livre de Poche

dimanche 10 février 2013

La grâce féminine du Taj Mahal

Taj Mahal, Vasili Vereshchagin

"Mais la configuration générale du Tâj, comme son apparence extérieure, n'ont pas été exemptes de critiques. Certains spécialistes pensent qu'ils souffre des faiblesses inhérentes à son époque : un manque de hardiesse et de puissance architecturales. A la différence du mausolée d'Humayun ou de la Buland Darwaza, le raffinement serait ici plus remarquable que l'ampleur ou la structure de l'édifice. Il enchante, il ne subjugue pas. Il n'y a ni recherche intellectuelle dans l'esthétique, ni originalité dans la forme. La décoration excessive caractériserait la dégénérescence de l'art moghol et le Tâj ne constituerait nullement un temps fort de l'architecture, symétrie et pureté des lignes n'indiquant rien d'autre qu'une rigidité dogmatique. Ainsi l'oeuvre serait dénué d'imagination selon les uns, et selon les autres brillerait d'un éclat superficiel. Le pittoresque de sa disposition, son apparence éthérée, ses formes délicates, sa décoration raffinée, aux contours subtils, contribueraient aussi à en faire un spécimen "efféminé" d'architecture. En revanche, certains prétendent que l'effet était voulu. E. B. Havell, par exemple, le regarde comme un hommage délibéré rendu à la "Dame du Tâj". Selon lui, "Le Tâj était sensé être féminin. Toute sa conception, chaque ligne, chaque détail expriment l'intention des architectes. Il est Mumtâz elle-même, radieuse dans sa beauté juvénile... ou plutôt, il communique une pensée plus abstraite, il est l'hommage de l'Inde rendu à la grâce de la féminité indienne, la Vénus de Milo de l'Orient".

Source : Taj Mahal, Amina Okada, Imprimerie Nationale

mercredi 6 février 2013

Sahid Sitki Taranci : Prière

Kebadjian, Fantômes minarets


Sahid Sitki Taranci est né à Dijarbakir en 1910. Il fit ses études au lycée de Galatasaray, établissement au long passé, où la moitié de l'enseignement se faisait en langue française.
Il a profondément subi l'influence de Baudelaire et des symbolistes. Sa langue est claire, son style simple, d'une simplicité qui va jusqu'au dénuement.
Il a publié deux recueils : Sérénité et A trente-cinq ans.

Prière

Mon Dieu, je connais mes fautes,
Et je m'égare à chaque pas,
Ma main se tend vers le pommier :
J'ai pour ancêtre Adam et Eve.

Ce n'est donc pas une ou deux fois
Que j'ai péché, mais sans arrêt.
Et tu sais bien, Seigneur, que toi,
Toi seul m'es proche à moi pécheur.

Mon Dieu, ne vois-tu pas mes larmes ?
C'est que je ne sais pas mentir :
Mon coeur est au grand soleil,
Et mes remords me sont enfer.

Je ne suis étoile dans la nuit,
Ni papillon dans la lumière:
C'est toi seul Seigneur qu'il me faut,
Toi aussi vrai que mes péchés.

Il faut bien qu'à toi je me plaigne,
Car nul autre n'entend ma peine :
De ces visages noyés je ne sais,
S'ils me sont amis ou ennemis.

La mer hélas est infinie,
Le flot furieux, l'esquif troué,
Oh ces montagnes et ces brumes
Où le cerf même perd son chemin !

Mes jours sans cesse sont troublés,
Mes nuit sont pires, déserts arides :
Et chaque étoile qui tombe hélas,
Se détache de ma poitrine.

Inguérissable est ma blessure,
Mes ailes à jamais brisées,
Ma jeunesse s'en est allée,
Quand je l'ai su, c'était trop tard.

Il n'est d'autre bonheur que toi,
Tout ne vit que par ton vouloir,
O mon Dieu, délivre-moi
Des ténèbres qui m'environnent.

Source : Anthologie de la poésie turque, Connaissance de l'Orient, Gallimard

Anecdotes sur Rabia




"Elle naquit à Basra. Sofyan Thawri la visitait, la questionnait et montrait du goût pour ses admonitions et ses invocations. Un jour il entra chez elle et dit en élevant la main : "Mon Dieu ! je te demande le bien-être !" Elle se mit à pleurer. "Qu'est-ce qui te fait pleurer ?" demanda-t-il. "C'est toi qui me fais pleurer. - Comment donc ? - Ne sais-tu pas que le bien-être en ce bas-monde consiste à y renoncer alors que tu en es tout souillé ? Elle a dit aussi : "Toute chose recèle un avantage : celui de la gnose est qu'on se tourne sans cesse vers le Très-Haut." Et encore :"Qu'Allah me pardonne mon peu de sincérité quand je lui demande de me pardonner." Soyfan lui demanda : "Quelle est la meilleure chose au moyen de laquelle l'esclave d'Allah peut s'approcher de lui ?"- C'est ceci : qu'Allah sache bien qu'en ce monde et dans l'autre, l'esclave n'aimera que lui." Un jour Sofyan dit devant elle : "O tristesse !" Elle répondit : "Ne mens pas ! Si tu étais vraiment affligé, la vie n'aurait plus de saveur pour toi." Elle a dit d'autre part : "Mon chagrin vient non pas de ce que je suis affligée mais à ce que je ne le suis pas réellement."

Source : Extrait du Nafahât al-uns de Djami in Anthologie persane, Henri Massé, Payon